sábado, 25 de julio de 2015

Dolores Cacuango et Tránsito Amaguaña ou le combat pour la dignité humaine, la terre et l'éducation bilingue en Équateur


Nicole Fourtané

En Amérique latine, la grande propriété foncière a été la caractéristique du monde rural depuis l'époque de la Conquête. Héritière des commendes de la période coloniale, elle domine encore le panorama social des Andes équatoriennes jusque dans les années 1960-1970. Ses terres immenses, peu productives, fournissent les marchés locaux et nationaux en produits alimentaires : blé, orge, pommes de terre, maïs, lait, viande et, malgré le passage du temps, elle conserve, immuable, une structure féodale. Véritable État dans l'État, elle est totalement autosuffisante puisqu'elle dispose en son sein d'une prison, d'une église, d'un magasin, parfois d'une école. La main-d'œuvre indigène, analphabète, monolingue kichwa, taillable et corvéable à merci, y vit dans des conditions infrahumaines : en échange de son travail au profit du propriétaire, elle bénéficie d'un petit lopin de terre, appelé « huasipungo », qu'elle cultive pour se nourrir et sur lequel elle construit une cahute rudimentaire en pisé et au toit de paille pour se loger . Ce statut lui garantit également l'accès aux ressources naturelles du domaine, telles que le bois, l'eau, les pâturages. C'est dans ce contexte d'exploitation et de misère extrême que deux femmes, Dolores Cacuango (1881-1971) et Tránsito Amaguaña (1909-2009), s'imposent comme leaders des revendications des travailleurs agricoles du canton de Cayambe, au nord-est de la province de Pichincha, à soixante-dix kilomètres de Quito. Certes, elles appartiennent à deux générations différentes mais la première sert de modèle à la seconde et, pendant plusieurs années, elles travaillent ensemble à la défense de la même cause. Leur militantisme marque une véritable rupture entre un avant et un après. Grâce à l'appui du Parti communiste, fondé en 1931, suite à des dissidences internes avec le Parti socialiste créé en 1926, elles œuvrent pour l'abolition de ce système injuste et sont à l'origine du combat pour le droit à la terre et de la première expérience d'éducation bilingue en Équateur. Pour comprendre leur action, nous présenterons d'abord le contexte politique équatorien de l'époque, nous brosserons ensuite les portraits des deux protagonistes et verrons enfin leur action : la création des premiers syndicats agricoles entre 1927 et 1930, de la Fédération équatorienne d'Indiens (FEI) en 1944, organisation à caractère politique et ethnique, la mise en place des premières écoles bilingues (1945).

Le contexte politique équatorien

La grande propriété gagne du terrain au XIXe siècle au détriment des terres des communautés indigènes et l'agitation sociale dans les campagnes s'impose bien avant le début du XXe siècle. En ce qui concerne la région de Cayambe, la mémoire orale conserve le souvenir que la terre appartenait à Andón Guatemal avant l'arrivée des Espagnols. Marié mais sans enfants, il céda son patrimoine aux Mercédaires. Dès 1559, ceux-ci étaient maîtres de quatre domaines, dont Pesillo. En 1864, ils en possédaient treize . La révolution libérale conduite par Eloy Alfaro (1895-1901) qui établit un État laïque est un premier coup dur pour les intérêts de l'Église qui, jusque là, exerçait un pouvoir sans partage sur les esprits et la société. Non seulement, elle prévoit la confiscation de ses biens au profit de l'État et des œuvres de bienfaisance, ce qui est mis en pratique avec la proclamation de la loi sur les biens de mainmorte , « Ley de manos muertas », le 6 novembre 1908, mais elle institue aussi l'éducation laïque gratuite et obligatoire en 1897, ainsi que le mariage civil en 1902. L'Assemblée constituante de 1897 exonère également les indigènes du paiement de la contribution territoriale, ainsi que du travail subsidiaire, et supprime la dîme ecclésiastique, les prémisses, les droits mortuaires et autres gabelles . Cependant, l'État, vu son incapacité à gérer directement ces propriétés, se contente d'en transférer la gestion à des civils qui les louent pour une durée de huit ans au bénéfice de l'Assistance publique, créée en 1927. En raison de la taille immense de Pesillo (9 032 hectares) et des difficultés rencontrées pour trouver des candidats pour en prendre la gestion, il se voit contraint de la diviser en cinq en 1913 : Pesillo, La Chimba, Pucará, Moyurco et San Pablo Urco . Ces modifications n'entraînent aucun changement notoire dans la vie des travailleurs indigènes qui restent confinés dans leur misère et sont toujours honteusement exploités.

En fait, la propriété foncière repose essentiellement sur l'accaparement du sol et sur l'exploitation de la main-d'œuvre qui vit sur ses terres et aux alentours. Mais, dans la culture andine, la terre est à tous, elle est la mère de toutes choses et elle accueille chacun en son sein à la mort. Un lien sacré unit donc les êtres humains à cette mère nourricière. Ceci explique que les populations autochtones aient toujours accordé une importance capitale au petit bout de terrain, situé le plus souvent dans les endroits les moins productifs du domaine, que le propriétaire leur accordait en échange de leurs services et de sa protection. Le « huasipungo » se transmettait de père en fils au sein des familles mais la femme ou la fille ne pouvaient pas en hériter. Elles devaient même l'abandonner et il était attribué à d'autres. L'héritage du lopin de terre allait de pair avec la transmission des dettes contractées envers le propriétaire dans le magasin du domaine, pour la perte d'animaux ou autres besoins urgents ponctuels de la vie, comme une maladie, un décès, un baptême ou un mariage. Bien qu'une loi de 1833 interdise de transférer les dettes du père au fils à sa mort, les propriétaires trouvaient encore le moyen de la contourner et, en 1918, le président Alfredo Baquerizo Moreno abolit le système du « concertaje » et la prison pour dette . Toutefois, cette loi ne sera effective à Pesillo qu'en 1931 . En échange de ce bout de terre, les gens devaient travailler six jours par semaine de six heures du matin à six heures du soir, parfois plus tard en période de récolte. À ces travaux des champs s'ajoutaient les services que les familles effectuaient à tour de rôle dans la résidence du patron, sur place ou en ville, en général un mois par an, appelé « huasicamía ». Elles étaient nourries mais ne recevaient pas de salaire. À ces astreintes se surajoutaient les obligations pour la traite des animaux qui, en général, revenait aux femmes, le soin du bétail – ces services étaient appelés « huagracamas » –, ainsi que la surveillance des champs pour empêcher les oiseaux et autres prédateurs de détruire les récoltes, confiée le plus souvent aux enfants, les « chagracamas ». Dans les deux cas, la personne devait faire le guet sept jours sur sept, nuit et jour. Toute perte d'une bête ou toute détérioration des produits attendus étaient imputées à la personne responsable et pouvaient se solder par un an de travail gratuit . Tout cela sans compter les mauvais traitements permanents, les coups de fouet, les viols. Dolores Cacuango et Tránsito Amaguaña font directement allusion à ces situations dans leurs témoignages et démontrent qu'en dépit des lois votées précédemment, rien n'a changé pour elles. En général, les travailleurs ne voyaient pas leur salaire, ils recevaient des dons en nature qui se résumaient, d'après Tránsito Amaguaña, en une fanègue de pommes de terre, d'orge ou de blé par an. Les femmes étaient remerciées par un châle ou une jupe . À l'époque des Mercédaires, les gens se levaient à trois heures du matin pour assister au catéchisme obligatoire et, à quatre heures ou les nuits éclairées par la lune, ils se consacraient à la culture de leur terrain . Les lourdes journées de travail pouvaient aller jusqu'à dix-huit heures pour le compte du propriétaire ! Outre les châtiments corporels, souvent féroces, les sanctions les plus vivement ressenties étaient la privation de la parcelle qui leur était prêtée et la destruction de leur maison, leurs habitants étaient même parfois obligés de la détruire eux-mêmes sous la contrainte , deux façons concrètes de les expulser du domaine.

Même si les mauvais traitements étaient monnaie courante sous le gouvernement des Mercédaires, ils s'amplifièrent avec la gestion des administrateurs civils qui voulaient récupérer le plus vite possible le montant de leur investissement. Les mouvements sociaux se multiplièrent avec leur arrivée en signe de protestation, d'autant que, durant une courte période transitoire, trompés par les Mercédaires qui leur firent croire que la terre leur appartenait désormais, les paysans eurent le sentiment d'être maîtres chez eux et de récupérer ce qui leur appartenait depuis des temps immémoriaux. La première grève à Pesillo remonte à 1919. Le premier administrateur, le Colombien Ernesto Fierro, qui en eut la charge entre 1913 et 1921, voulait que le travail dans la propriété commençât à l'âge de douze ans et que les cultures s'étendissent jusqu'à l'endroit où les paysans avaient leurs pâturages . Face à ces propositions inacceptables, ceux-ci refusèrent de travailler et l'intervention de l'armée fut nécessaire pour ramener l'ordre : il y eut trente morts, dont le gérant, Pancho Portillo, et plusieurs femmes, ainsi que de nombreux blessés et orphelins. Il faut souligner que, dans cette rébellion, les femmes eurent un rôle décisif, notamment Encarnación Colcha, qui s'imposa comme leader face à la troupe. Le patron dut accepter le paiement des journées travaillées : deux réaux pour les hommes et un réal pour les femmes qui assuraient la traite des vaches . Dès lors, les populations autochtones, grâce à certains de leurs membres qui avaient des contacts avec la ville, commencèrent à avoir des informations sur les mesures sociales qui les concernaient et à s'organiser. Juan Albamocho, de San Pablo Urco, alla même jusqu'à se déguiser en mendiant pour demander l'aumône à la porte des avocats de Quito afin d'entendre ce qui se disait à ce sujet et rapporter ensuite l'information dans les domaines . Sachant qu'il y avait désormais une « loi pour les Indiens » , les travailleurs agricoles réclamèrent, dans un premier temps, des salaires et la fin des mauvais traitements. Les combats ultérieurs, même s'ils paraissent plus structurés grâce aux apports de militants politiques urbains du Parti communiste, sont dictés par la vie quotidienne des travailleurs agricoles et leur perception andine du rapport à la terre. Ils sont un refus du racisme dont ils sont victimes, de l'exploitation qu'ils subissent et de leur exclusion de la communauté nationale.

Portrait de Dolores Cacuango et Tránsito Amaguaña

Dolores Cacuango (1881-1971)

Dolores Cacuango est née à San Pablo Urco le 26 octobre 1881. Ses parents étaient travailleurs agricoles attachés au domaine de Pesillo et, dès son plus jeune âge, elle aida sa mère dans les tâches domestiques et collabora aux travaux des champs au moment de la récolte. À la mort du père décédé prématurément, sa mère dut se réfugier chez le nouveau bénéficiaire de leur petit terrain et glaner dans les champs après les récoltes pour survivre. Les Pères mercédaires prirent Dolores comme servante mais, comme ils voulaient la marier à un jeune homme qu'elle n'aimait pas, elle s'enfuit à Quito où elle trouva un emploi de domestique chez un militaire. Bien qu'elle n'y restât que quelques mois, ce contact avec la ville fut décisif pour son engagement futur. Non seulement elle apprit à parler l'espagnol avec assez de fluidité pour se faire comprendre, elle se familiarisa avec les rues et les quartiers de la capitale, car dans sa vie militante, selon son fils, elle effectua quatre-vingt-cinq voyages à pied de Cayambe à Quito pour réclamer justice , mais surtout elle prit conscience de la distance qui séparait les Blancs et les Indiens et de la discrimination dont ceux-ci étaient victimes. Elle décida donc de rentrer à San Pablo Urco où elle épousa Rafael Catucuamba le 15 août 1905. Elle fut l'une des premières Indiennes à contracter un mariage civil avant le mariage religieux et en était fière. Le couple très uni s'établit à San Pablo Urco, sur la terre que Rafael avait héritée de ses parents qui étaient travailleurs agricoles sur le domaine. Il eut neuf enfants mais un seul, Luis, arriva à l'âge adulte. Pendant quatorze ans, Rafael et Dolores travaillèrent ensemble la terre qui leur était octroyée en échange de leurs services. Dolores avait trente-huit ans lorsqu'elle participa au mouvement de 1919. Cependant, elle ne s'investit vraiment en politique qu'au moment où les premiers syndicats agricoles s'organisèrent dans la région entre 1926 et 1930, entraînée sur cette voie par Ignacio Alba et Juan Albamocho. Elle fut la première Indienne à s'affilier au Parti communiste et fit partie du comité central. Elle s'imposa ensuite au moment de la grève de 1931, qui donna lieu à la première marche de cent quarante et un Indiens sur Quito et qui eut de graves répercussions pour toute sa famille puisqu'en représailles, leur maison fut brûlée et ils furent exclus du domaine, se retrouvant sans toit ni ressources. Loin de la décourager, bien qu'elle fût obligée désormais de se cacher, cette situation la confirma dans son engagement et elle joua un rôle décisif dans la vie locale et nationale durant deux décennies pour la défense des droits de ses pairs. En 1934, elle participa activement à la campagne présidentielle de Ricardo Paredes, fondateur du Parti communiste, « candidat des ouvriers, paysans, Indiens et soldats » , qui s'était engagé dans les luttes de Cayambe, alors qu'étant analphabète, elle n'avait pas le droit de vote . Cet engagement démontre à quel point elle était intégrée à la vie politique nationale par le biais du Parti, phénomène exceptionnel à l'époque de la part d'une femme . En 1942, elle organisa la réception à Cayambe du Mexicain Vicente Lombardo Toledano, président de la Confédération des Travailleurs d'Amérique latine (CTAL). En juillet 1943, elle créa avec son fils Luis le premier comité antifasciste rural à Yanahuayco, où la famille s'était installée après les événements de 1931 . Le 28 mai 1944, elle prit la tête de l'assaut de la caserne de carabiniers de Cayambe pour destituer le président de la République, Carlos Arroyo del Río, et favoriser l'arrivée au pouvoir de José María Velasco Ibarra. Elle apparut à ses côtés au balcon de la mairie lorsqu'il revenait de son exil colombien et Tránsito Amaguaña rappelle qu'elle, Dolores et quelques autres femmes accompagnèrent le nouveau président au palais présidentiel lorsqu'il prit ses fonctions . La participation indigène à ces évènements leur donna, pour la première fois, une identité citoyenne et une visibilité dans un programme national. La Confédération des Travailleurs de l'Équateur fut créée le 9 juillet 1944, acte à l'issue duquel José María Velasco Ibarra prit la parole, et Dolores Cacuango, artisan de cette organisation, fut longuement ovationnée au Théâtre Sucre en tant que représentante des communautés indigènes. Le président de la Confédération des Travailleurs de l'Équateur, Pedro Saad Herrería, s'engagea à en finir avec « le féodalisme exploitant un million et demi d'Indiens » . Dans les faits, la population autochtone marginalisée jusque là s'imposait comme un acteur à part entière de la vie nationale. La création de la Fédération équatorienne d'Indiens en août 1944 donna à nouveau à Dolores Cacuango l'occasion d'accueillir José María Velasco Ibarra . En tant que Secrétaire générale de cette organisation, elle exerça une influence profonde sur cette institution pendant plus de dix ans et elle en fut nommée présidente en février 1946 . Elle fut invitée en décembre 1944 au Congrès de la Confédération des Travailleurs d'Amérique latine à Cali et elle profita de cette tribune internationale pour faire connaître les conditions d'exploitation et la souffrance des masses de paysans pauvres qui travaillaient pour soutenir la fortune des grands propriétaires. Elle fut la première femme de sa condition à accéder à un tel niveau d'audience. Dolores Cacuango contribua aussi à la création de la Fédération des Travailleurs agricoles du Littoral, FETAL, en 1954, à destination des paysans de la Côte. Convaincue que l'intégration de l'Indien à l'État-Nation passait par l'éducation, en 1946, avec l'aide de la pédagogue communiste María Luisa Gómez de la Torre, elle fonda dans sa propre maison la première école bilingue pour les enfants de sa communauté. D'ailleurs, elle avait envoyé son propre fils à l'école et payé l'instituteur pour qu'il le laissât étudier et ne lui demandât pas d'effectuer des tâches extrascolaires, comme c'était habituel pour les enfants indigènes. Parce qu'elle était analphabète, persuadée que l'écriture était la force des Blancs et des Métis, elle apprit par cœur le Code du Travail proclamé en 1938 et elle fut capable de tenir tête au ministre du Travail qui prenait des libertés avec la littéralité du texte.

Le militantisme de Dolores Cacuango eut d'importantes répercussions sur sa vie de famille mais son mari était totalement consentant. Mettant en pratique les notions structurantes de la conception andine du monde, la complémentarité et la solidarité, il lui apporta un soutien sans faille et assuma ses longues absences, sa vie cachée lorsqu'elle fut poursuivie par la police qui voulait l'arrêter et la tuer. La base de la démarche de Dolores et des autres militantes indigènes s'appuie aussi sur ces notions.

D'abord le peuple, d'abord les paysans, les Indiens, les Noirs, les Mulâtres. Ils sont tous des camarades. Nous avons lutté pour tous sans baisser la tête, toujours sur le même chemin ,

dira-t-elle en 1969. Nous sommes loin de la théorie de la lutte des classes prônée par un Parti communiste radical. En Équateur, celui-ci, influencé par la pensée du Péruvien José Carlos Mariátegui pour qui le problème essentiel des pays andins résidait dans la répartition de la terre, était convaincu qu'aucune avancée sociale n'était possible sans la réduction de la pauvreté massive qui marginalisait pratiquement la moitié de la population et sans des structures sociales plus justes. Pour persuader ses compatriotes de la nécessité de s'unir, Dolores Cacuango, dotée de dons oratoires exceptionnels, employa les images qui leur étaient familières et qui emportaient leur adhésion par la force de conviction qu'elles dégageaient :

Nous sommes comme les grains de quinoa : si nous sommes seuls, le vent nous emporte loin mais si nous sommes unis dans un sac, le vent ne fera rien, il nous ballotera, mais il ne nous fera pas tomber.

Autre image forte, insistant sur la nécessité de s'unir :

L'Indien seul, le patron le piétine et l'outrage. Il est comme le fil du poncho qui se rompt facilement. Les Indiens unis comme le poncho tissé, le patron ne pourra pas les faire fléchir.

La base de ses revendications concernait l'amélioration des conditions de vie de ses compatriotes :

Nous avons besoin de terre, nous avons besoin d'une petite maison, nous avons besoin de quoi nous vêtir, de quoi nous nourrir. Nous sommes des êtres humains, nous voulons que l'on nous traite bien.

Cette phrase résume à elle seule tous les objectifs de son combat pour la dignité humaine. D'ailleurs, elle ne supportait pas que l'on maltraitât quiconque et, de ce fait, elle était très crainte de tous. Son fils se souvient :

Depuis sa jeunesse, ma mère avait consacré son temps à organiser les indigènes, les familles pour qu'ils luttent unis et obtiennent des améliorations en matière de salaire, de traitement. Elle se dressait durement contre tout employé, elle le faisait courir avec un bâton.

Mama Dulu, comme on l'appelait, n'oublia pas non plus le sort des femmes :

Nous voulons que les Indiennes sachent de qui elles engendrent, pour qu'elles ne soient plus violées par tant de patrons diaboliques, pour qu'il ne naisse plus d'enfants sans père et qu'ils ne soient plus des fils méprisés.

Les vibrants discours qu'elle prononça marquèrent les esprits, tant les images employées traduisaient son lien profond à la terre et son expérience de militante :

Nous sommes comme la paille, le vent aura beau nous mouvoir d'un côté et de l'autre il ne pourra pas nous arracher. Nous sommes comme la paille de la lande que l'on arrache et qui repousse et nous recouvrirons le monde avec la paille de la lande.

Pour atteindre ses objectifs, elle ne calcula pas et mit toutes ses forces physiques et morales dans la bataille. Nous avons déjà évoqué les innombrables marches à pied pour aller à Quito afin de porter à la connaissance du gouvernement les conflits et les problèmes qui se posaient dans les propriétés mais, sur place, il s'agissait aussi de parcourir les grandes distances qui séparaient les différents domaines du Cayambe, de jour mais, le plus souvent, la nuit . En effet, l'activité syndicale fut avant tout nocturne car il fallait agir dans la dissimulation pour éviter les persécutions qui venaient de toutes parts : des patrons, d'abord, qui s'opposaient à toute évolution des conditions de travail, des curés pour qui, étant communiste, elle était le diable en personne, des différents gouvernements conservateurs qui la surnommaient la « folle » et qui craignaient les mobilisations qu'elle organisait, de la police qui la recherchait et à laquelle elle échappait en enduisant son visage de suie et en se cachant dans des tanières de loups . Usée, elle finit ses jours dans la pauvreté totale, pratiquement oubliée de tous, même du Parti dont elle avait été mise à l'écart par les nouveaux dirigeants. Cependant, par son action inlassable, elle sema les graines du mouvement indigène qui prendra son essor en Équateur en 1990. En 1996, l'organisation ECUARUNARI qui se voulait, au moment de sa fondation en 1972, la représentante des « populations paysannes indiennes pauvres et exploitées » attribua le nom de Dolores Cacuango à son école de formation des femmes dirigeantes. Son portrait, réalisé par le peintre Oswaldo Guayasamín, figure sur la fresque du Palais Législatif de Quito (1988) aux côtés des grands hommes qui contribuèrent à forger la Nation équatorienne, accompagné d'une de ses phrases les plus connues : « Nous sommes comme la paille de la lande que l'on arrache et qui repousse » . Dolores Cacuango savait qu'elle était un maillon dans une chaîne : « si je meurs, je meurs, mais d'autres viendront pour continuer », disait-elle, ou encore : « La vie est ainsi. Un jour mille meurent, mille naissent, mille meurent, mille renaissent » . Magnifique sagesse humaine, reflet parfait de ce que fut son existence, faite de détachement et d'humilité ! En 2009, la délégation équatorienne de l'UNESCO organisa à Paris une exposition intitulée « Dolores Cacuango, semillas de un sueño » qui fut également présentée à Quito au Centre culturel Itchimbía du 22 septembre au 20 octobre 2013. On le voit, la reconnaissance nationale vint tardivement.

Tránsito Amaguaña (1909-2009)

Le vrai prénom de Tránsito Amaguaña est Rosa Elena. Tránsito est le prénom que lui donna le Parti communiste lorsqu'elle entra dans la lutte active et par lequel tout le monde la connut dans la vie publique. Ce prénom qui signifie « passage » récapitule la trajectoire de sa longue existence. Elle accompagna toutes les transformations sociales majeures du pays et vit la reconnaissance d'un Équateur multiethnique et pluriculturel. Le jour de ses obsèques, le 13 mai 2009, le président de la République, Rafael Correa, et plusieurs ministres assistèrent à la cérémonie religieuse et des centaines de personnes l'accompagnèrent à sa dernière demeure tout près de sa maison à La Chimba . Née à Pesillo le 10 septembre 1909, elle fut initiée très jeune à la vie militante par sa mère qui participa activement à la grève de 1919 et elle suivit tout naturellement son exemple car elle assista aux mauvais traitements infligés à ses parents et aux autres paysans, scènes qui créèrent en elle un profond sentiment de révolte et provoquèrent un violent traumatisme. Elle commença à travailler à sept ans mais, lorsqu'elle eut neuf ans, ses parents l'envoyèrent à l'école à laquelle elle assista six mois. Là, elle s'aperçut que les enfants indigènes n'étaient pas traités comme les autres. À dix ans, elle entra comme domestique dans la demeure des patrons où elle devait effectuer diverses tâches à toute heure du jour et de la nuit. Ses parents la marièrent à quatorze ans avec un homme de vingt-cinq ans pour éviter qu'elle ne fût violée. Victime de violences conjugales, mère de trois enfants, dont l'un mourut très tôt, elle se sépara de son mari à vingt ans car il ne partageait pas son engagement et se montrait jaloux. Sur ce point, Tránsito Amaguaña fait preuve d'une grande liberté pour l'époque et ses propos sur la question démontrent qu'elle entend être libre de son corps et de ses mouvements . Elle commença le combat politique à quinze ans et allait à Quito pour réclamer justice avec un enfant dans le dos et en tenant l'autre par la main . Son affiliation au Partido communiste fut motivée, selon ses propres termes, « par la pauvreté et par les mauvais traitements, parce qu'il fallait changer les choses » . Elle prit toute sa dimension de leader lors de la grève de 1931, à la suite de laquelle sa maison, tout comme celle de Dolores Cacuango, fut brûlée. Alors commencèrent pour elle quinze ans de vie cachée dans les communautés des alentours au cours desquels elle vécut du glanage dans les champs. Elle partagea avec Dolores Cacuango la mise en place des syndicats agricoles, la fondation de la FEI, la création de trois écoles bilingues qui lui valurent son premier emprisonnement car, pour la classe dominante, l'éducation de l'Indien était un vrai danger. Réfugiée sur un petit bout de terrain, au pied du volcan Cayambe, dans le secteur de Cerro Blanco, sur le domaine de La Chimba, que gérait Galo Plaza, ancien président de la République, elle lui demanda, en 1960, de le lui donner . Ce sera là qu'elle mourra. En 1961, elle participa à l'Assemblée mondiale communiste à Moscou avec une délégation équatorienne en tant que représentante des leaders indigènes. Elle fit escale à Cuba juste après les évènements de la Baie des Cochons mais, dans son for intérieur, elle se montra critique envers le nouveau régime car, pour elle, laisser les corps des opposants et des soldats américains tués sans sépulture sur la plage pour l'exemple était inconcevable : il fallait avant tout respecter la dignité humaine. D'ailleurs, au sein de la délégation, elle fut victime de discriminations de la part de certains membres, preuve que la ségrégation et le racisme étaient aussi ancrés dans les pratiques de certains communistes. Elle en était consciente. Le séjour de quatre mois à Moscou fut marqué par une opération de l'appendicite qui la priva de nombreuses manifestations mais elle revint avec des instructions pour la réforme agraire. De retour en Équateur, en pleine guerre froide, elle fut à nouveau emprisonnée pendant plus de quatre mois car soupçonnée de trafic d'armes avec l'URSS. Lors de son arrestation, au cours de son transfert à Quito, elle avala les documents concernant la réforme agraire qu'elle portait sur elle . L'ex président Galo Plaza intervint pour la faire libérer. Toutes ces années furent pour elle très difficiles sur le plan personnel : ses parents, ses deux fils, une de ses belles-filles moururent. Après 1964, avec la réforme agraire, elle organisa les coopératives mais elle n'eut pas assez d'argent pour acheter un terrain et dut se contenter de celui que lui avait donné Galo Plaza. En 1980, alors qu'elle participait à une marche pour l'eau pour laquelle on était venu la chercher, personne ne reconnut en elle une représentante de la demande populaire et, pour certains, cette « vieille politicarde » qui n'était pas de La Chimba n'avait rien à faire là. Ce fut sa dernière apparition publique dans une manifestation. Comme Dolores Cacuango, elle eut une fin de vie difficile dans la grande pauvreté, mais elle resta toujours fidèle à son idéal et ne chercha jamais à en retirer le moindre avantage personnel : « J'ai vieilli dans cette lutte. J'ai été communiste et je mourrai communiste », confiait-elle à Mercedes Prieto en 1977 . Néanmoins, à la fin de sa vie, elle obtint plusieurs prix en reconnaissance de son action. Lors de la réception du prix Manuela Espejo en 1997, elle prononça un discours où elle mit en exergue l'unité qui doit présider à toute action :

Ainsi unis, mélangés comme le blé et le quinoa, mélangés. Blancs, paysans, unis dans une seule masse.

D'ailleurs, les symboles sont explicites : le blé, introduit par les Espagnols, est la nourriture des Blancs et des Métis, le quinoa est, par contre, la base de l'alimentation indigène. Avec ces métaphores, elle renvoie à la nécessité de construire l'unité nationale. La même idée, à destination du mouvement indigène cette fois, revient dans cette phrase :

Nous qui avons souffert, qui avons pleuré, qui avons sucé les coups de fouet, les coups de bâton, nous devons rester unis parce que l'unité est comme l'épi de maïs : si le grain s'en va, la rangée s'en va, si la rangée s'en va, c'en est fini de l'épi.

En 1998, l'Assemblée nationale, à la demande du député du Mouvement Pachakutik Miguel Lluco, lui attribua une pension à vie en raison de son travail en faveur de l'organisation du mouvement indigène :

C'est la première fois que le gouvernement se souvient de moi [...]. Mais ma véritable récompense, c'est l'avancée de mes frères, de mes sœurs, de tout mon peuple ! ,

dit-elle à cette annonce.

En 2003, le président Lucio Gutiérrez, élu grâce au soutien du Mouvement Pachakutik , lui remit le prix Eugenio Espejo en tant que symbole du mouvement indigène équatorien . Toutes ces reconnaissances sont la preuve que les temps ont changé : les politiques récupèrent à leur profit ces leaders qui influencèrent le cours de l'histoire dans un désintéressement personnel total. Dans la perspective de son centenaire, la poste équatorienne édita un timbre à son effigie. En août 2009, Rafael Correa et Evo Morales, le président bolivien, inaugurèrent le Centre culturel communautaire Tránsito Amaguaña, construit à l'endroit où se trouvait sa maison, espace de documentation sur l'histoire du mouvement indigène équatorien . Elle avait prononcé plusieurs années avant sa mort ces paroles prophétiques : « Mon nom vivra mais je dois partir vers mon destin » .

Les premiers syndicats agricoles

Le motif déclencheur de la formation des syndicats agricoles dans la région de Cayambe fut le conflit pour la terre dans le domaine de Changalá, sur la paroisse de Juan Montalvo, qui s'était approprié des terrains qui appartenaient historiquement aux populations autochtones. Le problème était d'autant plus aigu que la population du secteur augmentait beaucoup, rendant encore plus difficile la subsistance du grand nombre. Jesús Gualavisi prit la tête du groupe qui occupa les terres en litige. Le propriétaire fit appel au gouvernement et à l'armée pour ramener l'ordre mais les femmes s'opposèrent à la troupe pendant plus d'un mois. Suite à cette occupation, en janvier 1926, Jesús Gualavisi, qui participa en mai de cette même année à la création du Parti socialiste, fonda le premier syndicat agricole de l'Équateur, le Syndicat des Travailleurs Paysans de Juan Montalvo. Il en fut le secrétaire général jusqu'à sa mort en 1962 . Il favorisa également, avec l'aide de militants politiques urbains, notamment Ricardo Paredes et Luis Felipe Chávez, membres du Parti communiste, la création des syndicats de la région où Dolores Cacuango et Tránsito Amaguaña eurent un rôle prédominant. Cachés dans des grottes, à la faveur de la complicité de la nuit , les travailleurs indigènes formèrent les syndicats El Inca à Pesillo, où Ignacio Alba démontra à tous la nécessité de changer les coutumes, Tierra Libre à Moyurco et Pan y Tierra à La Chimba . Les gens se réunissaient à cinq ou six pour échanger et se concerter. Le syndicat était constitué de cinq dirigeants : le secrétaire général, deux secrétaires, le chargé de propagande et le trésorier. Les moyens de pression furent ceux qui avaient été expérimentés en ville : le syndicat, la liste des revendications et la grève. Une des stratégies de cette organisation clandestine résidait dans sa façon de faire diversion : le déguisement pour ne pas être reconnu, la simulation de fêtes et de mariages avec de la musique et des danses. Le mot d'ordre était : « Ce soir, il y a un mariage à tel endroit » . Cependant, la persuasion individuelle fut un travail de longue haleine pour convaincre les gens d'adhérer au syndicat et les informer sur leurs droits . Dolores réussit à implanter partout dans la région des syndicats agricoles sauf à Zuleta qui appartenait à Galo Plazo. Comme il traitait convenablement ses travailleurs, ceux-ci ne voyaient pas la nécessité de défendre leurs droits et refusaient d'introduire des socialistes au sein de la propriété . Bien que l'on sache peu de choses sur ces premiers syndicats, les sujets qui faisaient l'objet de leurs préoccupations étaient « les droits à la terre, l'accès à l'eau et aux pâturages, les salaires, l'éducation et les abus commis par les propriétaires » .

Une fois qu'ils furent organisés, les syndiqués présentèrent aux administrateurs de Pesillo, Moyurco et La Chimba, le 30 décembre 1930, une liste de revendications : fin des mauvais traitements, suppression du travail obligatoire pour les femmes, des services au domicile du patron, des dîmes et prémisses, fourniture d'outils aux travailleurs, abaissement du nombre de brebis à la charge de celui qui s'en occupait, augmentation du salaire des travailleurs, attribution d'un lopin de terre aux personnes rattachées à la famille, diminution des journées de travail pour le domaine et ils se mirent en grève. Ils réclamaient également l'ouverture d'une école à Pucará . L'historique de ces évènements et de ceux qui suivent semble confus si l'on s'en tient aux témoignages des protagonistes. En contradiction avec la version selon laquelle la grève dura trois mois , Marc Becker, se fondant sur les archives de l'Assistance publique et les journaux de l'époque, assure qu'un compromis fut trouvé le 7 janvier 1931 avec les administrateurs de Pesillo et Moyurco : ils s'engageaient à respecter la journée de huit heures, à accorder un jour de repos hebdomadaire aux travailleurs, à rémunérer le travail des femmes et des enfants, à abolir les services personnels et à ne pas congédier les travailleurs, sauf en cas de mauvaise conduite ou d'insubordination. Cependant, cinq leaders furent arrêtés par les cent cinquante soldats envoyés sur place et ordre fut donné de détruire leurs maisons . Le travail reprit mais la convocation du premier Congrès indigène de l'Équateur par Jesús Gualivisí, prévu du 8 au 11 février, remit le feu aux poudres. Le gouvernement, effrayé à l'idée que près de deux mille Indiens pussent se rassembler, empêcha sa tenue et Cayambe fut en état de siège. La presse nationale se fit l'écho de ces évènements inhabituels qui, pour la première fois, mettaient les Indiens marginalisés dans la société sur le devant de la scène. Ils se réveillaient et, bien sûr, représentaient un danger pour le pays. Suite à ces menaces, le gouvernement créa les Comités de défense de la race indigène qui devaient veiller au paiement des salaires, au respect des terrains concédés par les propriétaires aux Indiens ainsi qu'à la non usurpation de leurs terres . Le 10 mars 1931, cent quarante et un Indiens, dont cinquante-sept femmes et une douzaine d'enfants, entreprirent une marche sur Quito pour présenter eux-mêmes leurs demandes au gouvernement. Trompés par le directeur de l'Assistance publique qui leur avait promis une entrevue avec le président de la République, ils furent arrêtés et la police les ramena par la force à Cayambe. La répression se produisit durant la Semaine Sainte, tombant cette année-là entre le 29 mars et le 5 avril. Le bataillon Yaguachi fut envoyé pour détruire et brûler les quarante-six maisons des leaders, entre autres celles des familles de Dolores, qui fut désignée par des travailleurs comme l'instigatrice de la marche sur Quito , et de Tránsito. Pour éviter d'être tuées, les deux femmes vécurent cachées pendant plusieurs jours . Dolores Cacuango ne réintégra jamais sa communauté d'origine. Elle finit par se réinstaller à Yanahuayco où elle organisa un nouveau syndicat qui devint le centre des opérations . Les déracinés vécurent dans des taudis le long du chemin menant à Cayambe, ils s'établirent à Olmedo, Ayora, Yanahuayco et se battirent désormais pour récupérer leur terrain et rebâtir leur maison . La famille Amaguaña vit encore une fois sa maison détruite à Olmedo . Tránsito se souvient :

Nous avons passé quinze ans cachés à Pisambilla, à Cancagual, à Cariacu. À glaner, à glaner. Ramassant les déchets de la récolte. C'est ainsi que nous vivions ! Quelques braves employés disaient : "Laissez-les. Ils ne viennent pas parce qu'ils sont des voleurs" .

Suite à ces grèves, Tránsito rapporte à propos de Dolores :

À partir de la spoliation de sa maison la camarade continua à lutter, à organiser, à parler. Mais elle était analphabète, elle ne savait pas lire, mais elle parlait mieux qu'un docteur, mieux qu'un professeur, elle luttait .

En août, il y eut un nouveau soulèvement auquel participèrent cinq cents personnes et en mars 1932, une autre grève éclata à Moyurco suite au licenciement de quatre travailleurs soupçonnés d'être des agitateurs . Tous ces évènements démontrent les difficultés rencontrées par ces populations pour que justice leur soit faite, les ancrent dans la conviction qu'ils sont victimes de discriminations sociales, car tous les accords restaient lettre morte, mais ils sont aussi la preuve de leur détermination à faire valoir leurs droits. Au vu de la situation sur le terrain, des intellectuels de gauche commencèrent, en toute bonne foi, à se rallier à leur cause, notamment le sénateur pour la race indigène, Pedro López Núñez, chargé d'un rapport sur les raisons des conflits dans les domaines de la région de Cayambe .

La Fédération équatorienne d'Indiens

En décembre 1935, une première réunion à Quito des leaders indigènes posa les bases de ce qui serait, en août 1944, la Fédération équatorienne d'Indiens. Selon Marc Becker, « elle fut la première tentative politique pour constituer une organisation nationale par et pour les indigènes » et elle s'imposa jusqu'aux années 1960 comme la formation principale de ce groupe social . Le gouvernement la reconnut en 1945, rendant légitimes ses attentes. La plateforme des revendications de la FEI était très large mais elle tournait autour de trois axes : les questions relatives au travail dans les domaines, le désir de participer à la vie sociale et politique du pays et le souhait de fortifier la cohésion institutionnelle de la fédération . Concrètement, elle se proposait de réaliser l'émancipation économique des Indiens, d'élever leur niveau culturel et moral en conservant les aspects positifs de leurs coutumes et institutions, d'où son caractère ethnique, de contribuer à la réalisation de l'unité nationale et d'établir des liens de solidarité avec tous les Amérindiens . Ce désir de contribuer à l'unité nationale mérite d'être souligné car il marque un pas décisif vers la constitution d'un État pluriethnique et multiculturel qui ne sera effectif dans la Constitution qu'en 1998. Tránsito Amaguaña se souvient de son intervention lors du congrès fondateur et de son vibrant plaidoyer en faveur de cette unité :

J'ai crié en espagnol et ensuite en kichwa : que la loi soit justice pour les Blancs, pour les riches, pour les pauvres. Qu'on ne mette pas l'Indien de côté. Que le travail soit le même pour tous, que nous soyons amis, que nous travaillions avec amour pour vivre ainsi ; communiste c'est la communauté... Pas la révolution. Les Indiens, nous ne pensons jamais à la révolution. Je vous le dis franchement : Blancs, Métis, Indiens, il faut travailler ensemble. Pourquoi allons-nous nous battre ? Les Indiens labourant la terre, les Indiens s'occupant des animaux. Vous les Messieurs blancs, prenez un livre, prenez un crayon, prenez de l'encre. Les Indiens travailleurs ne les prennent pas parce qu'ils ne sont pas alphabétisés. Vous allez manger aussi les grains que les Indiens feront pousser. Nous devons faire ainsi : la moitié pour les patrons, la moitié pour les Indiens. Les Indiens : la terre, la charrue et la paire de bœufs. Les messieurs blancs : l'encre, le crayon, le papier. N'est-ce pas bien ainsi ? J'ai dit la même pensée en kichwa et en espagnol .

La complémentarité, ici entre Blancs et Indiens, et la réciprocité qu'elle met en exergue sont des notions fondamentales de la culture andine. Elles sont la source de cette unité qui s'inscrivait pour elle dans le fait que tous les hommes sont égaux car, disait-elle, « nous sommes tous nés de la terre mère » . Il faut également souligner la réinterprétation indigène du communisme car l'Indien est avant tout un être communautaire, la communauté étant pour lui la réalité structurante de son existence. Comme Dolores Cacuango était analphabète, lorsqu'elle était à la tête de la FEI, elle eut comme secrétaire Nela Martínez, membre actif du Parti communiste . Toutes deux participèrent au congrès de la Confédération des Travailleurs d'Amérique latine à Cali dont les résolutions finales reflètent largement l'apport de Dolores en matière de lutte en faveur des populations indigènes : la CTAL s'engageait à aider à l'organisation de Fédérations, à lutter contre la discrimination, à garantir l'existence des communautés indigènes et leur droit à la terre qui, historiquement, leur appartient, à aider à l'incorporation de l'Indien à la vie économique du pays dans lequel il vit, à lutter contre l'esclavage de celui-ci pour dette ou pour location de terres, à en finir avec l'asservissement à l'Église et à l'État . Dolores Cacuango fit forte impression à ce congrès où elle acquit une notoriété internationale. Elle dira elle-même :

Là-bas à Cali j'ai tout exposé, pour que l'on connaisse quelle est la situation des Indiens. J'ai tout dit. Comment nous avons souffert, comment nous avons pleuré. Dans un état pitoyable pour servir de domestique, de vacher, roués de coups .

La rencontre de 1935 avait permis de concevoir un petit journal bilingue kichwa - espagnol, de quatre à six pages, Ñucanchi Allpa - Nuestra Tierra, qui parut à intervalles irréguliers mais qui joua un rôle important dans la conscientisation des populations autochtones et qui fit aussi connaître leurs conditions de vie et leurs luttes aux autres secteurs sociaux. Nela Martínez en était la directrice. Le bulletin fut réactivé avec la création de la FEI et permit de diffuser les orientations de l'organisation et d'informer les paysans. En particulier, la Loi des communes, approuvée le 6 août 1937 , et les éléments du Code du Travail qui les concernaient furent traduits en kichwa, tout comme le décret de 1918 qui interdisait le « concertaje » mais qui était toujours en vigueur dans les propriétés de la Sierra. À partir du congrès de Cali, la réforme agraire et la défense des droits indigènes furent les deux axes majeurs du programme de la FEI . L'utilisation de la presse écrite par ces populations analphabètes où la lecture se faisait en groupe par l'intermédiaire d'une personne lettrée eut un impact énorme car elle permit de discuter les orientations de l'organisation et de convaincre plus facilement les récalcitrants.

En 1946, le gouvernement de José María Velasco Ibarra, sur la pression de la FEI, édicta un décret pour que les terres dont les dirigeants de la grève de 1931 avaient été dépossédés leur soient restituées. Ils obtinrent également la satisfaction des demandes qu'ils avaient formulées à cette occasion : journée de travail de huit heures, jour de repos hebdomadaire, augmentation des salaires, suppression des services . La loi étant désormais en leur faveur, Tránsito Amaguaña reconnaît qu'elle fut « féroce » pour que ces décisions s'appliquassent sur le terrain : « Nous sommes entrés dans chacun des domaines de Cayambe et nous avons fait sortir les personnes qui effectuaient des services » .

Une autre des batailles de la FEI fut l'abolition effective des dîmes versées à l'Église. En 1948, les Indiens d'Olmedo refusèrent de les payer. Le curé entreprit alors une intense campagne de dénigrement contre les leaders indigènes et les communistes. Tránsito Amaguaña rapporte que le curé de Pesillo la mit au ban en pleine messe, la fustigeant verbalement et la menaçant même de ne pas l'enterrer à sa mort mais de la jeter dans le ravin. De même, le curé de Cayambe proposa de l'argent à Dolores Cacuango pour qu'elle cessât ses activités militantes . Neptalí Ulcuango fut attaqué par le fils de la personne chargée de recueillir la part des récoltes et échappa à la mort de justesse. Là encore, Dolores Cacuango et Tránsito Amaguaña furent aux avant-postes et allèrent trouver l'archevêque de Quito, Carlos María de la Torre, pour qu'il obligeât le curé à respecter la loi. Leurs arguments étaient simples et relevaient du simple bon sens :

Nous lui avons dit : "Le pauvre paysan n'a même pas de quoi manger pour lui ni pour ses enfants. Il n'est pas juste que l'Église continue à nous enlever ce que nous avons". "Bon, bon, que ce soit volontaire", conclut-il,

rapporte Tránsito . Avec le volontariat, la pratique tomba rapidement en désuétude mais les militants payèrent de leur personne pour obtenir cette victoire . Ces avancées supposèrent des luttes âpres qui occasionnèrent des persécutions physiques et morales.

Les Indiens de Cayambe favorisèrent aussi la campagne électorale de Galo Plaza en 1948. D'une certaine façon, il fut leur président. Tránsito Amaguaña se souvient :

Il arriva au Palais avec un poncho d'Indien, nous l'avons accompagné à lui aussi avec un orchestre et nous l'avons mis à la présidence avec un poncho de Zuleta .

Ceci prouve que, d'une certaine façon, les indigènes le considéraient comme l'un des leurs. La familiarité qu'affiche avec lui Tránsito et sa reconnaissance à son égard ne l'empêcha pas de déclencher une grève à La Chimba dont il était l'administrateur pour réclamer les arriérés de salaires non versés. Galo Plaza dut aller la trouver chez elle et s'engager à payer les salaires qui correspondaient à sa gestion pour qu'elle levât la consigne d'interruption du travail . La loi devait être respectée par tous, elle devenait la force des travailleurs agricoles qui en exigeaient la stricte application. D'ailleurs, une des stratégies principales de la FEI fut de concilier la proximité avec les divers gouvernements en place pour qu'ils adoptassent des politiques qui leur fussent favorables. Surtout au début, les marches, si caractéristiques de l'action revendicative des militants indigènes, avaient pour but de sortir les conflits de l'enceinte des domaines et de les porter au centre de l'État et de la scène politique nationale . Tránsito Amaguaña s'enorgueillit d'avoir parlé avec les autorités et d'avoir été entendue . Dolores Cacuango confirme également qu'elle eut des entretiens avec « Isidro Ayora, Velasco Ibarra, Galo Plaza, Arosemena Monroy » . Ses qualités humaines, sa compétence furent reconnues de tous dans les cercles gouvernementaux. Pour le recensement de 1950 que les Indiens craignaient par-dessus tout, de peur qu'il ne servît à augmenter la pression sur eux, Galo Plaza eut l'habileté d'avoir recours à Dolores Cacuango afin qu'elle organisât un Congrès extraordinaire de la FEI pour discuter de la réponse à donner. Il vint exposer en personne les avantages que présentait ce recensement pour l'amélioration des conditions de vie rurales. Comme le souligne Marc Becker, cet épisode marqua un profond changement dans la politique gouvernementale à l'égard des populations autochtones. Au lieu d'envoyer des troupes pour réprimer la résistance indigène, le gouvernement s'appuya désormais sur ses leaders pour appliquer ses décisions politiques . Ainsi, la FEI en vint à considérer l'État comme « l'agence qui promeut le développement et la modernisation, [...] rendant possible [...] l'entrée dans un style de vie moderne en contraste avec la vie de paria » qu'elle avait continuellement rejetée.

À partir des années cinquante, l'agitation dans les campagnes s'accéléra pour obtenir la mise en place des réformes votées, notamment dans les domaines de l'Assistance publique : les Indiens, influencés par Dolores Cacuango, Jesús Gualavisí et le Parti communiste, voulaient que ces terres dont ils étaient les héritiers légitimes fussent réparties à ceux qui les cultivaient ou transformées en coopératives . Toutefois, la FEI se limita à lutter pour l'amélioration de la situation des travailleurs des grandes propriétés foncières mais elle ne prit pas en compte celle des membres des communautés indigènes libres, bien plus nombreux que les premiers et confrontés également au problème de la terre, souvent de façon plus cruciale, pour leur survie quotidienne .

À l'occasion du troisième congrès de la FEI, convoqué en décembre 1961, une marche pacifique de douze mille Indiens et paysans réclamant une réforme agraire juste, souhaitée à la fois par les partis de gauche et les partis conservateurs, pour moderniser l'agriculture, envahit les rues de Quito le 16 décembre. Le nouveau président de la République, Carlos Julio Arosemena Monroy, prit même la tête de cette manifestation et s'engagea à agir pour l'élimination du « huasipungo » mais, renversé par un coup d'État le 11 juillet 1963, il ne put pas mettre en œuvre ce projet . Contre toute attente, dans le contexte international de l'Alliance pour le progrès et face à la menace de contagion de la Révolution cubaine, la junte militaire dirigée par l'amiral Ramón Castro Jijón qui le destitua proclama la première réforme agraire le 11 juillet 1964 . Son objectif était de favoriser la moyenne et la grande propriété de type capitaliste afin de moderniser le pays et d'avoir une agriculture capable de s'intégrer à l'économie marchande. Cette réforme fit disparaître les rapports de production ancestraux caractéristiques des haciendas traditionnelles – le « huasipungo » et autres situations précaires – et elle procéda au démembrement des propriétés de l'Assistance publique qui furent transformées en coopératives mais il n'y eut pas une redistribution significative des terres en faveur de la paysannerie. Les détenteurs de « huasipungos », en devenant propriétaires de leur terrain, situé dans les zones les moins productives, furent désormais contraints de vivre du produit de la superficie qui leur appartenait et n'eurent plus accès aux autres ressources du domaine, en particulier aux pâturages. Cette réforme ne répondit donc que partiellement aux attentes réelles du paysannat de base. L'IERAC (Institut équatorien de réforme agraire et de colonisation) fut chargé de son application. Dans la région de Cayambe, la répartition de la terre respecta les hiérarchies qui avaient cours auparavant. Ainsi, Pesillo fut divisé en plusieurs coopératives qui eurent des résultats inégaux ; les deux principales, Atahualpa et Simón Bolívar, reçurent les meilleurs terrains. Les paysans locaux, qui purent investir cent cinquante mille sucres dans l'opération, furent chargés de les gérer mais, comme ils n'avaient aucune expérience en matière de gestion, très vite, les problèmes surgirent. Chaque famille reçut cinq hectares, une surface bien insuffisante en haute altitude pour obtenir une bonne productivité . Tránsito Amaguaña prit en partie la direction des opérations. Néanmoins, elle avouait elle-même qu'elle eut du mal à comprendre ce qu'était la réforme agraire . Elle s'impliqua pourtant dans la formation de ces nouvelles entités. Sa belle-fille évoquait en ces termes ses activités :

En parlant elle faisait accepter aux gens la nécessité de s'organiser. Mamita Tránsito fonda les coopératives de travailleurs. Elle partait avec Angelita Andrango de Pesillo. Mamita Tránsito, active, organisa des coopératives à Santo Domingo, Santa Rosa, Candelaria, Sacata, Pesillo, San Pablo Urco, Mapuco, Cariacu, Paquistancia, Cangagua. Toute la zone de Cayambe. Elle commença la prise des terres .

Ces gestions collectives furent à l'origine de nouvelles luttes pour le pouvoir mais, au final, Tránsito Amaguaña se retrouva exclue du système : d'une part, elle n'appartenait à aucun domaine et, d'autre part, elle n'avait pas l'argent nécessaire pour pouvoir acheter un terrain. Lésée sur tous les plans, elle n'obtint même pas la reconnaissance de ses pairs pour le travail qu'elle avait fait en leur faveur . Quant à Dolores Cacuango, au soir de sa vie, reléguée au second plan dans cette étape par une génération de militants plus radicaux, elle fit aussi une lecture mitigée de cette avancée qui avait mobilisé toute son énergie et qui, au lieu de résoudre le problème de la terre, ne fit qu'accroître la misère. En effet, les surfaces octroyées, trop petites, de mauvaise qualité, ne pouvaient pas alimenter convenablement une famille, la pression sur la terre s'accentua et l'exode rural s'accéléra . Bien que le bilan soit en demi- teinte pour les populations indigènes, ces luttes pour la terre bouleversèrent en profondeur le paysage de l'Équateur. Comme le souligne Galo Viteri Díaz, la réforme agraire marqua un point de non retour vers les formes féodales que les syndicats agricoles et la FEI n'avaient cessé de dénoncer . En ce sens, elle est une première victoire mais il faudra une deuxième réforme agraire en 1973 , puis une troisième en 1994 pour tenter de résoudre le problème de la terre et de la productivité agricole. D'ailleurs, celui-ci est toujours d'actualité puisqu'une nouvelle réforme agraire est en préparation.

L'éducation bilingue

Dolores Cacuango, sans cesse confrontée aux limites que lui imposait son analphabétisme, fut toujours convaincue du rôle essentiel de l'éducation pour que les enfants indiens puissent défendre leurs droits face aux Blancs et aux Métis. Tránsito Amaguaña soulignait également cet aspect : « Nous ne luttions pas seulement pour la terre et un bon traitement, nous voulions aussi que nos enfants soient éduqués, qu'ils apprennent à lire les lois et à faire les comptes » . L'insistance sur la connaissance de la législation s'explique par les expériences concrètes que durent affronter les premières générations de militants originaires des « huasipungos » pour faire valoir leurs droits et par l'assistance juridique dont elles eurent besoin pour aboutir à l'application des lois du travail et à la disparition de cette situation de servage. Pourtant, plus fondamentalement, pour ces populations asservies et marginalisées, l'avenir devait s'écrire avec leurs enfants, l'école devenait dans leur optique un instrument d'émancipation. En effet, le canton de Cayambe, majoritairement rural et indigène, était analphabète à hauteur de 75 % en 1950 ; 82 % de la population rurale était monolingue kichwa, dont 77 % à Olmedo . En 1922, il n'y avait que trente-neuf professeurs, répartis dans vingt-deux écoles primaires, qui n'accueillaient que mille quatre cent cinquante enfants . Pourtant, en 1906, Eloy Alfaro avait fait obligation aux propriétaires terriens d'ouvrir des écoles mixtes sur leurs domaines, appelées « escuelas prediales », mais, bien que l'enseignement primaire fût obligatoire, très peu s'y conformèrent car tous y étaient fermement opposés. De toute façon, les enfants des travailleurs agricoles assistaient leurs parents dans les tâches qui leur étaient assignées et n'avaient pas le temps d'aller en classe. Dans les années trente, l'État forma des instituteurs pour enseigner en milieu rural mais, jusqu'en 1956, où l'on créa la Mission Andine sous l'égide des Nations Unies , il n'y eut pas de véritable politique gouvernementale en matière d'éducation à destination des populations indigènes . Certes, à partir de 1930, les gouvernements ouvrirent quelques établissements à destination des populations rurales afin d'« incorporer le paysan à la culture nationale » . Cependant, ceux-ci furent peu nombreux, sous dotés, et se situaient surtout dans les gros bourgs laissant de ce fait à l'écart la grande majorité des enfants susceptibles de les fréquenter. Les cours y étaient dispensés en espagnol et le cursus se limitait à quatre ans, alors que celui des écoles primaires urbaines était de six. De plus, il y avait un maître pour quarante élèves. L'enseignement présentait cependant quelques spécificités ; il s'appuyait sur la pédagogie active : l'élève devait connaître la nature et être initié aux activités agricoles . Malgré toutes les carences que nous venons de signaler, Tránsito Amaguaña alla en classe six mois à l'école du domaine mais elle affirme que l'on disait : « pour l'Indien, il n'y a pas d'école » , preuve que cette assistance élémentaire était pour l'époque, surtout pour une fille, une exception. Luis Catucuamba, le fils de Dolores Cacuango, suivit le cursus offert à Ayora mais il dit avoir oublié très vite ce qu'il avait appris. Il se remit à lire et écrire lorsqu'il fut nommé secrétaire du syndicat, confirmant ainsi que le besoin et le service justifiaient en milieu rural ces apprentissages et non l'accès à la culture, comme le souhaitait l'État qui, à travers l'éducation, voulait favoriser la cohésion nationale et le développement . De fait, vers 1950, seulement 20 % des enfants avaient fréquenté les écoles rurales et ils savaient à peine lire et écrire . La Constitution de 1945 marqua une avancée notoire pour les peuples indigènes puisqu'elle reconnut, pour la première fois, « le quechua et les autres langues aborigènes comme des éléments de la culture nationale » (article 5) et préconisa l'emploi de ces langues, à côté de l'espagnol, dans les zones où elles prédominaient (article 143) . Cependant, ces dispositions disparurent de la Constitution de 1946 mais l'article 171 faisait encore obligation « de prêter une attention spéciale à la race indigène » . La FEI et les multiples démarches de Dolores Cacuango à Quito en faveur de l'alphabétisation des adultes et la multiplication des écoles rurales ne furent pas étrangères à ces évolutions positives :

Je ne me souviens pas du nombre de fois, mais chaque fois que j'arrivais à Quito, j'allais aussi à la Direction provinciale de Pichincha, à l'Union nationale des journalistes et aussi auprès des personnes qui pouvaient aider dans cette tâche. J'emmenais toujours une demande avec la signature des habitants pour que la demande ait plus de force. On ne me répondait jamais mais je continuais à insister au cas où un jour on comprendrait que l'Indien a aussi le droit d'être éduqué .

Dans ce contexte, Dolores Cacuango fit, une fois de plus, figure de pionnière en matière d'éducation bilingue. Dans cette entreprise, le concours de María Luisa Gómez de la Torre fut fondamental en raison de son expérience pédagogique au Colegio Mejía de Quito . Celle-ci connaissait aussi parfaitement les textes qui régissaient les écoles rurales et elle les mit en application sur le terrain, tout en les adaptant au contexte spécifique de ces écoles syndicales et en se préoccupant de la préservation des coutumes et des valeurs de la culture indigène. Comme l'indique Marc Becker, l'insistance sur l'enseignement en kichwa est fondamentale. Les populations indigènes percevaient qu'il fallait introduire des compétences nouvelles dans les communautés mais elles refusaient les politiques d'assimilation préconisées par la culture dominante .

María Luisa Gómez de la Torre forma les maîtres, originaires des communautés, engagés dans la vie syndicale et politique locale. Ils prirent en charge les enfants sans autre rétribution que la fourniture de leur alimentation par les familles et vingt sucres mensuels que leur assignait la pédagogue licenciée sur ses propres revenus . Deux instituteurs étaient diplômés de l'École normale rurale d'Uyumbicho : José Amaguaña, le frère de Tránsito, exerça à La Chimba et José Alberto Tarabata, qui fut, à partir de 1964 et pendant huit ans, le troisième et dernier compagnon de Tránsito Amaguaña, à San Pablo Urco. Les deux autres avaient seulement terminé le cycle primaire : le fils de Dolores, Luis Catucuamba, enseigna à Yanahuaico et Neptalí Ulcuango à Pesillo . Ces écoles bilingues, qui couvraient un cycle de trois ans, fonctionnèrent d'abord chez l'habitant. Dolores Cacuango ouvrit sa propre maison en octobre 1945 à quinze élèves dès le premier jour et Tránsito Amaguaña se chargea de la fondation des autres écoles. Celle de La Chimba commença à fonctionner en octobre 1946 dans plusieurs maisons avant l'obtention d'un terrain pour construire un bâtiment, tandis que celle de Pesillo débuta en avril 1946. Quarante à quarante-cinq élèves se rassemblèrent chez Andrés Alba à Pucará avant que l'administrateur du domaine ne cède un espace plus propice . Le seul document pédagogique existant pour l'enseignement bilingue, Mi cartilla inca, publié en 1947 par les religieuses Lauritas d'Otavalo, fut utilisé par les formateurs lorsqu'ils en eurent connaissance . Au point de départ, le matériel était inexistant : « pas de bancs, pas de chaises, pas de livres ni de cahiers mais grâce aux grands efforts des parents et des personnes de bonne volonté, il y eut le matériel pour que les enfants puissent apprendre », se souvient Dolores Cacuango . Très vite d'ailleurs, il fallut faire preuve d'astuces pour éviter les persécutions de tous bords : des propriétaires, farouchement opposés à toute avancée culturelle susceptible de mettre en danger leur hégémonie, des curés, qui percevaient les communistes comme des suppôts de Satan, et des instituteurs des écoles officielles, qui voyaient d'un très mauvais œil cette concurrence. Face à toutes ces menaces, María Luisa Gómez de la Torre, qui venait tous les quinze jours superviser les progrès de l'ensemble, conçut des pupitres démontables et montra aux enfants comment les mettre en place et les faire disparaître rapidement. Les cours eurent lieu la nuit et tous les habitants laissaient leur lumière allumée pour que l'on ne sache pas où se tenait la classe .

Les résultats de ces efforts ne se firent pas attendre car les instituteurs et les élèves étaient très motivés. La raison principale de cette motivation résidait dans le fait que ce projet émanait de la base, de la communauté, à l'inverse des programmes pédagogiques conçus par les instances politiques, venus d'en haut et sans impact avec la réalité locale. Dès que les enfants surent lire et compter, ils se firent les avocats de leurs parents face aux représentants des patrons qui essayaient de les tromper. Dolores Cacuango faisait état de ces avancées en ces termes :

Dès que nos enfants lurent et écrivirent, les problèmes parmi les travailleurs commencèrent à diminuer, on ne pouvait plus nous faire signer des choses fausses. On ne pouvait pas non plus nous voler dans les comptes. Il n'y avait plus la menace que les troupes arrivent pour nous arrêter et nous conduire au Pénitencier à Quito .

Cet accès au savoir de leurs enfants ouvrit aux travailleurs indigènes les codes de la culture dominante, mina le pouvoir du domaine, sapa l'autorité et le prestige des patrons car ils accédaient enfin à la compréhension des mécanismes séculaires de domination, comme le démontre Pablo Dávalos . Cette subversion des fondements mêmes de la société agraire suscita de violentes réactions à tous les niveaux dont les enfants, leurs parents, les instituteurs et les syndicalistes furent victimes. Ainsi, Tránsito Amaguaña, considérée comme l'instigatrice de cette innovation, fut arrêtée et emmenée à Quito alors qu'elle organisait une réunion au sujet de l'école de Pesillo. Grâce à l'intervention de María Luisa Gómez de la Torre, l'emprisonnement ne dura qu'une nuit .

Les contenus de cet enseignement bilingue valorisaient également les pratiques agricoles, un jour par semaine, et artisanales, ainsi que les chants, la musique et les danses traditionnels. Les objets fabriqués étaient vendus à Santa Rosa pour aider au fonctionnement des écoles ; ces ventes permettaient aussi aux enfants de découvrir la valeur de l'argent . María Luisa Gómez de la Torre organisa même, avec son amie Olga Fish, une exposition d'artisanat avec les éléments élaborés par les élèves dans les salons de la Maison de la Culture de Quito, exposition qui eut un grand succès . Les cours se faisaient dans les deux langues, d'abord en espagnol, puis l'on traduisait en kichwa, et inversement, mais l'objectif premier était que les enfants maîtrisent la langue officielle du pays pour pouvoir s'insérer harmonieusement dans le monde moderne et défendre leurs droits, tout en préservant leur culture . Dans les périodes plus sereines, les cours se déroulaient sur toute la journée, quatre heures le matin et trois heures l'après-midi, avec une demi-heure de récréation dans chaque période ; les enfants apportaient leur casse-croûte pour déjeuner sur place . La fourniture d'un repas fut également une des luttes de María Luisa Gómez de la Torre – elle avait obtenu au Colegio Mejía la distribution du petit déjeuner pour les élèves pauvres – et de Neptalí Ulcuango mais ils n'eurent pas gain de cause .

L'expérience à La Chimba, Pesillo et San Pablo Urco fut de courte durée car le Ministère reprit le contrôle de ces écoles qui se situaient dans des domaines de l'Assistance publique et n'intégra pas dans le secteur public les formateurs qui n'avaient pas le diplôme d'instituteur. Selon Dolores Cacuango, ces écoles fonctionnèrent trois ans. José Amaguaña confirme que La Chimba passa dans le giron officiel en 1949. Neptalí Ulcuango, en dépit des pressions et menaces, exerça cinq ans et demi à Pesillo, puis il se consacra à l'alphabétisation des adultes . La seule école qui survécut fut celle que dirigeait Luis Catucuamba car elle n'était pas située sur les terres d'un domaine. L'aventure dura dix-huit ans, jusqu'en 1963, où la junte militaire au pouvoir, présidée par l'amiral Ramón Castro Jijón, interdit l'usage du kichwa et ordonna la fermeture et la destruction de l'école, la considérant comme un « foyer de sédition communiste » . Même si le thème de l'éducation bilingue apparaît dans les discours politiques du général Guillermo Rodríguez Lara en 1972, il faudra attendre 1978 pour que l'enseignement bilingue soit à nouveau d'actualité en Équateur et devienne une politique gouvernementale officielle. En effet, l'article 27 de la Constitution de 1978 préconisait l'emploi simultané des langues indigènes et de l'espagnol dans les écoles :

Dans les écoles établies dans les zones où la population indigène prédomine, on utilise, en plus de l'espagnol, le quichua ou la langue aborigène respective .

Dolores Cacuango et Tránsito Amaguaña sont les deux figures pionnières incontournables de l'histoire des mobilisations des populations autochtones en Équateur. Alors qu'elles cumulaient tous les désavantages – elles étaient indiennes, et donc considérées par la société de l'époque comme des êtres inférieurs, des « parias » ; elles étaient femmes, dans un monde où les hommes occupaient tous les postes de responsabilité ; elles étaient analphabètes, dans un univers où la maîtrise de la lecture et l'écriture faisait la force des Blancs et des Métis –, elles firent preuve d'une clairvoyance exceptionnelle dans l'analyse de la situation sociale et politique de leur pays et, par leur militantisme désintéressé, elles posèrent, sans même s'en douter, les bases de ce qui deviendrait dans les années 1980-1990 un mouvement national de grande ampleur, qui conduisit les Indiens à s'imposer dans l'espace politique en tant que citoyens à part entière et à peser de tout leur poids pour obtenir une transformation radicale de la conception et du fonctionnement de l'État-Nation. Les luttes de Dolores Cacuango et Tránsito Amaguaña en faveur du changement social, pour la défense de la dignité des hommes et des femmes qui travaillaient dans les domaines, trouvèrent un aboutissement dans la reconnaissance d'un État plurilingue et pluriethnique par la Constitution de 1998 qui garantit, de ce fait, le système d'éducation interculturelle bilingue (article 69). Un pas de plus sera franchi dans celle de 2008 avec la proclamation d'un État interculturel et plurinational (article 1). Les petites gouttes d'eau jaillies du Cayambe sont devenues de grandes rivières et c'est à leur lueur qu'il faut mesurer la force du torrent. Pourtant, malgré le chemin parcouru, celui qui reste à faire est encore bien long pour que tous les Équatoriens, et notamment les populations indigènes rurales, aient des conditions de vie dignes et sortent de la pauvreté , conformément à l'article 3 de ladite Constitution, qui, au point 6, souhaite « promouvoir un développement équitable et solidaire de tout le territoire » .

NOTES :

1 Dolores Cacuango nous décrit leurs conditions de vie dans ce contexte : « Nous vivions dans une cabane humide, sans soleil, sans lumière. Nous nous éclairions avec la flamme du feu. Oui, il existait des bougies à cette époque mais nous n'avions pas d'argent pour en acheter. Nous dormions là, cuisinions et avions nos cochons d'Inde. Dans le grenier, nous avions nos grains, notre linge. Le lit était sur le sol près du feu pour avoir chaud ». Nous traduisons toutes les citations en essayant de respecter le style oral des informatrices. RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Pionera en la lucha por los derechos indígenas, Quito, Comisión Nacional Permanente de conmemoraciones cívicas, 2007, p. 15.
2 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, Quito, Banco Central del Ecuador, 2005, p. 17, pp. 201-21. Nous ne citons ici que les domaines auxquels nous ferons référence au cours de cette étude.
3 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, Historia agraria y social de Cayambe, Quito, FLACSO, Abya Yala, 2009, p. 54 ; MIÑO GRIJALVA, Cecilia, Tránsito Amaguaña. Heroína India, Quito, Banco Central del Ecuador, 2006, p. 36. Cette loi est aussi appelée loi de bienfaisance, « Ley de Beneficiencia », en raison du décret du 19 octobre 1908 qui, en deux articles différents, lie les deux aspects de la question : « Declárase del Estado todos los bienes raíces de las Comunidades Religiosas establecidas en la República ». - « Adjudícanse las rentas de los bienes determinados en el artículo primero, a la beneficencia pública ». ECHEVERRÍA, Enrique, «Alfaro y lo jurídico», El Comercio, 22 de enero de 2012, en ligne, consulté le 15/07/2014, http://www.elcomercio.com/ opinion/alfaro-y-juridico.html.
4 BETHELL, Leslie, Historia de América latina, Barcelona, Editorial Crítica, 1992, Tomo X, p. 307 ; GRAN ORIENTE DE ECUADOR, «Alfarismo, masonería y Estado republicano», en ligne, consulté le 15/06/2014, http://rey-salomon.blogspot.fr/2005/03/alfarismo-masoneria-y-estado.html
5 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 79.
6 Ibidem, p. 62 ; BETHELL, Leslie, op. cit., p. 312 ; DÁVALOS, Pablo, «Los sistemas productivos del Ecuador: el sistema hacienda y el sistema plantación», Publicación mensual del Instituto Científico de Culturas Indígenas, año 1, n° 3, junio de 1993, en ligne, consulté le 16/06/2014, http://www.icci.org.ec/?p=91. Le « concertaje » est le contrat selon lequel le travailleur s'engageait à prêter ses services au propriétaire à vie et de façon héréditaire sans recevoir de salaire ou un salaire minime.
7 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 34.
8 Entre 1736 et 1744, durée de leur séjour dans le pays pour effectuer les mesures géodésiques avec l'expédition française, Jorge Juan et Antonio Ulloa observaient que les détenteurs de « huasipungos » travaillaient trois cents jours par an pour le compte du propriétaire. Dans la région de Cayambe, à l'époque qui nous occupe, selon Marc Becker, ils consacraient six jours au bénéfice du domaine, preuve que rien n'avait changé depuis le XVIIIe siècle. De fait, dans la liste des revendications des travailleurs de Pesillo, en 1931, figurait la réduction de l'obligation à cinq jours. En 1950, dans le nord de la Sierra, telle était la norme : quatre à cinq jours. Les travailleurs agricoles pouvaient ainsi se consacrer à la culture de leur parcelle au moins une journée par semaine, le dimanche étant le jour de repos recommandé par l'Église afin de permettre l'assistance à la messe. JUAN, Jorge, ULLOA, Antonio, Noticias secretas de América, Buenos Aires, Ediciones Mar Océano, 1953, pp. 209-215, cité par OBEREM, Udo, «Contribución a la historia del trabajador rural de América Latina: «conciertos» y «huasipungueros» en Ecuador», Sarance, diciembre de 1978, p. 58 ; BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 81 ; MIÑO GRIJALVA, Cecilia, citant PRIETO, Mercedes, op. cit., p. 91 ; FARGA HERNÁNDEZ, María Cristina, ALMEIDA VINUEZA, José, Campesinos y haciendas de la Sierra Norte. La transformación del campesinado y la comunidad en la Sierra Norte, Otavalo, Instituto Otavaleño de Antropología, 1981, p. 60, p. 278.
9 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., pp. 61-66.
10 RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, Quito, Trama Ediciones, 2009, quinta edición, p. 18 ; BULNES, Marta, Me levanto y digo. Testimonio de las mujeres quichuas, Quito, El Conejo, 1994, pp. 32-40, reproduit sous le titre «Tránsito Amaguaña», Fondo documental / Narrativas de Mujeres Indígenas / Flasco / Ecuador, p. 2, en ligne, consulté le 31/07/2014, http://www.flacso.org.ec/docs/TRANSITO %20AMAGUANA3.pdf.
11 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 72. Témoignage de Virgilio Lechón.
12 GÁMEZ, Javier, Historia social y política del Movimiento indígena del Ecuador 1920-1990, Saarbrücken, Editorial Académica Española, 2012, p. 55.
13 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 30.
14 Les enfants ont toujours aidé leurs parents dans les tâches qui leur étaient assignées. Pourtant, en 1919, l'OIT, dans ses Principes généraux, au point 6, préconise l'élimination du travail des enfants et insiste sur la nécessité de le limiter pour permettre aux adolescents des deux sexes de continuer leur éducation et de poursuivre leur développement physique. RODGERS, Gerry, LEE, Eddy, SWEPSTON, Lee, VAN DAELE, Jasmien, L’Organisation internationale du Travail et la quête de justice sociale, 1919-2009, Genève, Bureau international du Travail, 2009, p. 281. Avec l'imposition du travail à douze ans, à temps plein, s'entend, nous sommes loin de ces prescriptions. Le premier Code du Travail équatorien, édicté en 1938, dans son article 83, fixe l'âge légal du travail des enfants à quatorze ans.
15 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, pp. 60-61.
16 Ibidem, p. 62 ; MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 45-47.
17 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 64.
18 PÉREZ PIMENTEL, Rodolfo, «Dolores Cacuango», en ligne, http://www.diccionariobiograficoecuador.com, consulté le 16/06/2014.
19 Sauf précisions contraires, pour reconstituer les biographies de ces deux militantes, nous nous basons sur les ouvrages déjà cités de Raquel Rodas Morales et Cecilia Miño Grijalva.
20 Ces déplacements supposaient trois jours de marche par des chemins muletiers car il n'y avait pas de routes, avec trois pauses : à Cayambe, le premier jour, à Guayllabamba, le second jour, et le troisième à Calderón. RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Pionera en la lucha por los derechos indígenas, pp. 58-59, p. 94. Les Indiens ont l'habitude de marcher pieds nus. Comme l'indique Tránsito Amaguaña, elle achète des sandales à Cayambe et ne les met qu'à Guayllabamba. En effet, une loi votée par la junte militaire qui prit le pouvoir à l'issue de la Révolution julienne du 9 juillet 1925 interdisait de marcher pieds nus dans les lieux publics. MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 66 ; BETHELL, Leslie, Historia de América latina, Tomo X, p. 310. Tránsito Amaguaña précise l'organisation de ces déplacements : « Nous allions dormir à Cayambe. Nous partions de là à trois heures du matin. À midi nous étions à Guayllamba. Nous rafraîchissions nos pieds dans l'eau et nous continuions. Nous dormions à Calderón pour partir tôt le matin aux audiences. Nous restions à Quito cinq jours, huit jours, nous y restions jusqu'à un mois ». RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, Quito, Comisión permanente de conmemoraciones cívicas, 2007, p. 42. Elles logeaient à Quito à la Casa del Obrero, mise à disposition des militants par le Parti communiste. Idem, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 94.
21 Voir son programme dans El pensamiento de la izquierda comunista (1928-1961), Introducción y selección de IBARRA, Hernán, Quito, Ministerio de Coordinación de la Política y Gobiernos Autónomos Descentralizados, 2013, pp.131-134.
22 En 1950, date du premier recensement officiel, les analphabètes représentent 44,2 % de la population, UNESCO, MINISTERIO DE EDUCACIÓN, La alfabetización en el Ecuador. Evolución histórica, información actualizada y mapa nacional de analfabetismo, 2009, Quito, UNESCO, 2009, en ligne, consulté le 15/07/2014, http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001851/185161s.pdf, p. 21. En 1931 et 1933, 65 % des adultes étaient analphabètes. Le vote des femmes sachant lire et écrire facultatif est reconnu en 1929 et devient obligatoire en 1967, tandis que le droit de vote des analphabètes n'est inscrit dans la Constitution qu'en 1978, à titre facultatif (article 33). MASSAL, Julie, Les mouvements indiens en Équateur. Mobilisations protestataires et démocratie, Paris, Karthala, 2005, p. 40, p. 49 ; Constitución política de 1978, en ligne, consultée le 31/07/2014, http://www.cortenacional.gob.ec/cnj/images/pdf/constituciones/43%201978%20Texto%20Original.pdf
23 En 1931, 9 % des femmes aptes à voter sont inscrites sur les listes électorales, pourcentage qui s'élève à 12 % en 1933. MASSAL, Julie, op. cit., p. 40.
24 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 131.
25 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 168-169.
26 Ibidem, p. 176.
27 BECKER, Marc, «Comunistas, indigenistas e indígenas en la formación de la Federación Ecuatoriana de Indios y el Instituto Indigenista Ecuatoriano», Íconos, n° 27, enero de 2007, p. 140.
28 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 144.
29 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Pionera en la lucha por los derechos indígenas, p. 81.
30 Idem, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 121.
31 Ibidem, p. 97.
32 Ibidem, p. 109.
33 Ibidem, p. 122.
34 Ibidem, p. 76.
35 Ibidem, p. 130.
36 La lande, le « páramo », se situe entre 3 500 et 4 500 mètres d'altitude. Cette aire géographique est essentiellement une zone de pâturages naturels située sur les hauteurs dominant les terres de culture.
37 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 117.
38 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 77-78 : « Luis voyait sa mère abandonner le foyer toutes les nuits et se déplacer dans les ténèbres de village en village, au risque d'être arrêtée par la police qui faisait la ronde dans la zone avec insistance. Dolores allait de San Pablo Urco à Moyurco, de là à Pesillo et ensuite elle montait à La Chimba. Elle faisait la ronde dans la nuit et recueillait les plaintes pour les emmener au Comité de Défense indigène à Quito. [...] Bien qu'elle fût consciente du danger, elle considérait que quelqu'un devait prendre en charge la défense des Indiens ».
39 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Pionera en la lucha por los derechos indígenas, p. 81 ; MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 97 ; YÁNEZ DEL POZO, José, Yo declaro con franqueza. Memoria oral de Pesillo-Cayambe, Quito, Abya Yala, 1988, «Dolores Cacuango», reproduit par Fondo Documental / Narrativas de mujeres indígenas / FLACSO / Ecuador, p. 4, en ligne, consulté le 31/07/2014, http://www.flacso.org.ec/docs/ DOLORES_CACUANGO_2.pdf.
40 Sur les évolutions idéologiques d'ECUARUNARI, acronyme de Ecuador Runacunapac Richarimui, qui signifie «Réveil de l'Indien équatorien », organisation d'orientation ethniciste et classiste, créée entre 1968 et 1972, voir MASSAL, Julie, op. cit., pp.87-91.
41 Cette fresque murale ne comporte que trois femmes. Le portrait de Dolores Cacuango figure à côté de celui de Manuela Sáenz, la maîtresse de Simon Bolivar, qui participa activement aux campagnes du Libérateur et fut sa conseillère avisée, et de Manuela Cañizares, chez qui se réunirent pour se concerter, le 9 août 1809, les patriotes qui proclamèrent l'Indépendance de l'Audience royale de Quito le lendemain. Sur le rôle joué par Manuela Sáenz, voir LARA, Claude, « Manuela Sáenz la Libératrice du Libérateur (la Libertadora del Libertador)», Apuntes, 18 de abril de 2011, en ligne, consulté le 23/09/2014 : http://arqueologia-diplomacia-ecuador.blogspot.com/2011/04/manuela-saenz-la-liberatrice-du.html.
42 KERSFFELD, Daniel, «Dolores Cacuassingo, líder irrepetible», El Telégrafo, 19 de febrero de 2014, en ligne, consulté le 16/07/2014, http://www.telegrafo.com.ec/cultura1/item/dolores-cacuango-lider-irrepetible.html.
43 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 165, p. 157.
44 «Correa se compromete en funeral de líder indígena a terminar con injusticia», El Tiempo, 14 de mayo de 2009, en ligne, consulté le 20/06/2014, http://www.eltiempo.com.ec/noticias-cuenca/16127-correa-se-compromete-en-funeral-de-li-der-indi-gena-a-terminar-con-injusticia/
45 RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, pp. 26-29.
46 Elle alla à Quito à pied vingt-six fois. RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, Quito, Comisión permanente de conmemoraciones cívicas, 2007, p. 42. La mise en place de moyens de communication, l'arrivée du train à Cayambe en 1928 et la construction de la route reliant la capitale à Ibarra facilitèrent ensuite les déplacements.
47 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 101.
48 Ibidem, p. 246 ; RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, 2007, p. 62.
49 Au cours de ce séjour, on lui offrit un tracteur qu'elle ne put pas emporter faute d'argent pour payer le transport, preuve évidente que son militantisme n'avait pas pour but l'enrichissement personnel. Le fait qu'elle ait dû demander deux cents sucres au Brésil pour acheter de quoi boire à un membre de la délégation, qui les lui refusa, est un autre indice qu'elle ne possédait pas de ressources propres et vécut dans la pauvreté. PÉREZ PIMENTEL, Rodolfo, «Tránsito Amaguaña», Diccionario biográfico de Ecuador, en ligne consulté le 25/06/2014, http://www.diccionariobiograficoecuador. com/tomos/tomo21/a2.htm ; MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p.  230.
50 RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio,  2007, p. 61.
51 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 260.
52 PRIETO, Mercedes, «"Yo me he envejecido en esta lucha...", Tránsito Amaguaña», in BULNES, Marta, op. cit.
53 RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, Quito, Trama Ediciones, 1994, p. 77.
54 Ibidem, p. 41. Cette phrase a été reprise par le président de la FEI, José Agualsaca Guamán, lors de l'hommage qui lui a été rendu deux mois après sa mort. «Discurso del presidente de la FEI en homenaje a Tránsito Amaguaña» 16 de julio de 2009, en ligne, consulté le 01/08/2014, http://www.cafolis.org/index2.php?option =com_content&do_pdf=1&id=461.
55 «Tránsito Amaguaña. La lideresa indígena», U-RED, 10 de junio de 2013, en ligne, consulté le 20/06/2014, http://social.unach.edu.ec/blog/archivos/1471.
56 Ce mouvement politique, créé en février 1996, regroupe la Confédération des nationalités indigènes d'Équateur (CONAIE), fondée en 1986, et des acteurs sociaux non indiens. Il devient aux élections du printemps de la même année la troisième force politique nationale. La CONAIE joue un rôle déterminant dans le coup d'État du 21 janvier 2000 organisé par le colonel Lucio Gutiérrez qui aboutit au renversement du président Jamil Mahuad. Les élections présidentielles de 2002 consacrent la double victoire électorale de Pachakutik et de Lucio Gutiérrez. MASSAL, Julie, op. cit., pp. 9-11.
57 Ce prix a été doté de 2 500 dollars, d'un diplôme, d'une médaille en or et d'une pension à vie qui, en 2003, correspondait à vingt-cinq salaires minimum. Celui-ci s'élevait alors à cent vingt-neuf dollars. Tránsito Amaguaña, âgée de quatre-vingt-quatorze ans, n'assista pas à la cérémonie officielle, le prix lui fut remis par le président de la République, le 21 août, chez elle à La Chimba. Informations en ligne, consultées le 31/07/2014 : «Lucio Gutiérrez ofició entrega de premios Eugenio Espejo», El Universo, 11 de agosto de 2003, http://www.eluniverso.com/2003/08/11/0001/261/99AB137BC98440B7A809DEA6A733E57B.html; «Gutiérrez entrega el Eugenio Espejo», Explored.com, 11 de agosto de 2003, http://www.explored.com.ec/noticias-ecuador/gutierrez-entrega-el-eugenio-espejo-153683.html ; «Aumentan $ 6,62 a salario básico», La Hora, 17/01/2004,  http://www.lahora.com.ec/index.php/noticias/show/1000219935/1/Aumentan_$_6,62_a_ salario_ b%C3%A1sico.html.
58 MAILER, Mattié, «Mujeres de Abya Yala: Mama Tránsito Amaguaña (1909-2009), CEPRID, 2 de marzo de 2010, en ligne, consulté le 20/06/2014, http://www.nodo50.org/ceprid/spip.php?article751.
59 Cette phrase prononcée par Tránsito Amaguaña a été reprise comme titre par José Yánez del Pozo pour son livre : YÁNEZ DEL POZO, José, Mi nombre ha de vivir y yo me he de ir a mi destino. Género, producción y aprendizaje intercultural en los pueblos andinos, Quito, Abya Yala, 2005. L'auteur reprend cette phrase p. 32, comme reflet de la pensée personnelle de l'informatrice à propos de la création, en 1990, de l'école interculturelle bilingue qui porte son nom à Quito.
60 «El primer sindicato indígena», En Marcha. Órgano del Comité Central del Partido Comunista Marxista Leninista del Ecuador, 5 de enero de 2013, en ligne, consulté le 21/06/2014, http://www.pcmle.org/EM/ spip.php?article5485.
61 Dolores Cacuango explicite qu'elle a organisé les syndicats chez elle la nuit. RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, pp. 78-79, p. 76. Tránsito Amaguaña le confirme : « Nous nous réunissions cachés dans les grottes, dans les ravins, au milieu des « chilcas » [plantes de la région]. Loin des enfants. [...] Ainsi en nous réunissant, en nous cachant, en parlant, en parlant nous avons réussi à former les syndicats agricoles. El Inca à Pesillo, Tierra Libre à Muyurco, Pan y Tierra à La Chimba ». RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, p. 32.
62 Sur la formation des syndicats, voir Idem, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, pp. 71-74 et MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 69-75.
63 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 70. Sur ces supposées fêtes, voir le témoignage de Tránsito Amaguaña, ibidem, pp. 66-68, en particulier p. 68 : « nous visitions les familles et les habitants pour organiser le syndicat. Nous allâmes chez Neptalí Ulcuango, à Cangahual, ainsi, en secret, avec des guitares et des flûtes de Pan pour que dans la résidence du domaine ils pensent que c'était une fête d'Indiens... parce que c'était une nuit de pleine lune... ». Le fils de Neptalí Ulcuango se souvient qu'« ils arrivèrent en entonnant la musique de la Saint-Jean ; ils arrivèrent dans la cour de ma maison. J'ai entendu qu'ils criaient : Vive le syndicat agricole El Inca ! Vive les paysans organisés ! À bas les patrons ! Vive la lutte des travailleurs de la campagne ! Réclamant de meilleurs salaires et de meilleurs traitements, ils arrivèrent à la maison et se mirent à danser ». Idem.
64 Ibidem, p. 65.
65 Ibidem, p. 198.
66 BECKER, Marc, «Movimientos campesinos en Cayambe», Primer Encuentro de LASA Sobre Estudios Ecuatorianos, Quito, 18-20 de julio de 2002, p. 2, en ligne, consulté le 04/08/2014, http://www.yachana.org/ ecuatorianistas/encuentro/ponencias/becker.pdf.
67 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, pp. 81-82. La liste complète des revendications est consultable dans MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 91-92.
68 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 163.
69 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 83.
70 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit.,  p. 102, p. 104.
71 GÁMEZ, Javier, op. cit., p. 90. L'auteur assure qu'ils n'ont jamais fonctionné selon les objectifs initiaux.
72 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 87.
73 Ibidem, pp. 81-90.
74 Ibidem, p. 92.
75 Ibidem, p. 89. Face aux abus constatés, le gouvernement fut obligé d'édicter un décret ordonnant le paiement des maisons détruites, décret qui resta lettre morte pendant quinze ans. Selon Tránsito Amaguaña, grâce à l'action de la FEI, l'Assistance publique leur versa, en 1946, quinze mille sucres d'indemnisation pour ces destructions mais les leaders ne purent jamais récupérer leur parcelle de terre. GÁMEZ, Javier, op. cit., p. 89 ; MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 119, p. 121 ; RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, p. 47.
76 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 122.
77 RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, p. 37.
78 Idem.
79 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 112, pp. 116-120.
80 Voir sa lettre adressée au ministre Miguel Ángel Albornoz, le 28 février 1931, et publiée dans le journal El Comercio. MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 106-109.
81 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 133.
82 Voir la liste des revendications dans RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, pp. 111-114.
83 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 144.
84 Ibidem, p. 131.
85 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 180.
86 Ibidem, p. 202.
87 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 144.
88 GÁMEZ, Javier, op. cit., pp. 112-113.
89 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 118.
90 Cette loi aura une importance capitale dans les décennies 1970 et 1980 dans la dynamique de revitalisation ethnique des sociétés indiennes du pays car la commune est l'instance de représentation politique dont les Indiens vont se prévaloir pour se donner une existence collective. SANTANA, Roberto, Les Indiens d'Équateur, citoyens dans l'ethnicité ?, Paris, Éditions du CNRS, 1992, pp. 76-82.
91 BECKER, Marc, «La historia del movimiento indígena escrita a través de las páginas de Ñucanchic Allpa», in SOSA-BUCHHOLZ, Ximena, WATERS, William F., compiladores, Estudios ecuatorianos. Un aporte a la discusión, Quito, FLACSO, Abya Yala, 2006, pp. 110-111.
92 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 123.
93 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 185.
94 PRIETO, Mercedes, Condicionamientos de la movilización campesina: el caso de las haciendas Olmedo/Ecuador (1926-1948), Quito, Pontificia Universidad Católica del Ecuador, entrevista a Tránsito Amaguaña realizada en noviembre de 1977, « En ese tiempo de patrones no había ninguna justicia... », en ligne, consulté le 17/07/2014, http://www.marxists.org/espanol/amaguana/1977/001.htm ; RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 95.
95 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 75-77 ; RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 184.
96 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 148.
97 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 198.
98 Ibidem, pp. 246-247.
99 GUERRERO, Andrés, «De sujetos indios a ciudadanos-étnicos: de la manifestación de 1961 al levantamiento indígena de 1990», in ADRIANZEN, Alberto, BLANQUER, Jean-Michel, et alii, Democracia, etnicidad y violencia en los países andinos, Lima, Institut Français d'Études Andines, IEP, 1993, paragraphe 29, en ligne, consulté le 29/07/2014, http://www.books.openedition.org/ifea.2171.
100 RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, p. 64.
101 YÁNEZ DEL POZO, José, op. cit., «Dolores Cacuango», reproduit par TUAZA, Luis Alberto, «Concepciones del Estado y demandas de las organizaciones campesinas e indígenas (1940-1960)», in BURBANO DE LARA,  Felipe, coordinador, Transiciones y rupturas. El Ecuador en la segunda mitad del siglo XX, Quito, FLACSO, Ministerio de Cultura, 2010, p. 493.
102 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., pp. 149-151.
103 TUAZA, Luis Alberto, op. cit., p. 508.
104 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., pp. 152-153.
105 Roberto Santana, se basant sur le recensement agropastoral de 1954, estime à cinq cent mille le nombre de petits paysans des communautés contre trente-huit mille détenteurs de « huasipungos » et cent cinquante mille travailleurs sans terre dans les domaines. SANTANA, Roberto, «En la Sierra del Ecuador...», op. cit., p. 207.
106 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., pp. 200-218.
107 Une des premières mesures de la Junte fut d'interdire l'activité du Parti communiste. ABC, Sevilla, 13 de julio de 1963, p. 27, en ligne, consulté le 29/07/2014, http://hemeroteca.sevilla.abc.es/nav/Navigate.exe/hemeroteca/ sevilla/abc.sevilla/1963/07/13/021.html.
108 Cette mesure eut une portée limitée car, en 1972, on comptait dans tout le pays trois cents coopératives qui regroupaient dix mille sept cent quatre-vingt-cinq adhérents et, en 1977, elles étaient quatre cent soixante cinq pour quinze mille huit cent quatre-vingt-quinze adhérents. Son échec relatif s'explique par le mode de gestion rigide, calqué sur le modèle occidental des coopératives, imposé de l'extérieur par l'IERAC, dont le fonctionnement n'était pas approprié à la fluidité des relations au sein des groupes familiaux caractéristique de la culture traditionnelle. SANTANA, Roberto, Les Indiens d'Équateur, pp. 70-76 ; FARGA HERNÁNDEZ, María Cristina, ALMEIDA VINUEZA, José, op. cit., pp. 217-228.  Dans le canton de Cayambe, cette réforme agraire eut pour effet de neutraliser l'action du Parti communiste et de la FEI. 
109 La superficie moyenne des terres octroyées a été estimée, jusqu'en 1969, à trois hectares et demi. SANTANA, Roberto, «En la Sierra del Ecuador: reivindicaciones étnicas y agrarias. El caso de un movimiento indígena», in Indianité, ethnocide, indigénisme en Amérique latine, Paris, Éditions du CNRS, Toulouse, GRAL, 1982, p. 217.
110 ITURRALDE, Diego, «Notas para una historia política del campesinado ecuatoriano (1900-1980)», in GONZÁLEZ CASANOVA, Pablo, Historia política de los campesinos latinoamericanos, Tomo 3, Colombia, Venezuela, Ecuador, Perú, Bolivia, Paraguay, México, Siglo XXI editores, 1985, pp. 106-111 ; CLICHE, Paul, Anthropologie des communautés andines équatoriennes. Entre diable et patron, Paris, L'Harmattan, Montréal, Recherches amérindiennes au Québec, 1995, pp. 74-81 ; BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., pp. 216-217 ; MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 244-248 ; RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Pionera en la lucha por los derechos indígenas, p. 90 ; Idem, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, pp. 74-76.
111 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 221.
112 Ibidem, p. 231.
113 Ibidem, pp. 248-250.
114 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 151-156.
115 VITERI DÍAZ, Galo, Reforma agraria en el Ecuador, Edición electrónica gratuita, 2007, consulté le 29/07/2014, Texto completo en http://www.eumed.net/libros/2007b/298/
116 Sur ces évolutions et leurs limites, voir ITURRALDE, Diego, op. cit., pp. 106-111 ; CLICHE, Paul, op. cit., pp. 79-84. Roberto Santana estime que la lutte pour la réforme agraire de 1973 fut essentiellement menée par Ecuarunari en raison de la perte d'influence des organisations traditionnelles, la FEI, liée au Parti communiste, et la FENOC (Fédération nationale des Organisations paysannes), d'inspiration catholique. SANTANA, Roberto, op. cit., p. 216.
117 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 164.
118 Ibidem, pp. 161-163.
119 Ibidem, p. 160.
120 Voir à ce sujet les différents rapports relatifs à la transformation de cet organisme en Mission Andine de l'Équateur en 1966 où sont données des statistiques concernant le nombre d'écoles rurales, d'élèves qui les fréquentaient, de professeurs et de personnes ayant bénéficié de l'alphabétisation dans les régions dans lesquelles elle était implantée. La province de Pichincha qui nous intéresse dans ce travail n'a pas été intégrée à cette Mission. MISIÓN ANDINA DEL ECUADOR, «Educación rural», en ligne, consulté le 21/07/2014, http://unesdoc.unesco.org/images/0015/001591/159118sb.pdf.
121 CHIODI, Francesco, La educación indígena en América Latina, México, Guatemala, Ecuador, Perú, Bolivia, Quito, P. EBI (MEC-GTZ) & Abya Yala, Santiago, Unesco-ORLEAC, 1990, p. 339.
122 MINISTERIO DE INSTRUCCIÓN PÚBLICA DEL ECUADOR, Congreso Nacional de Educación Primaria y Normal: conclusiones aprobadas en las sesiones del 26 al 31 de Mayo de 1930, Quito, s. ed., 1930, p. 31, cité par SINARDET, Emmanuelle, «Educación indígena y políticas de incorporación nacional (1925-1946): de la integración a la exclusión», HISTOIRE(S) de l'Amérique latine, 2007, vol. 2, art. nº 2, p. 7, en ligne, consulté le 20/07/2014, http://www.hisal.org.
123 SINARDET, Emmanuelle, op. cit., pp. 6-9.
124 Les écoles des domaines furent transformées en écoles rurales en 1937. Dans la province de Pichincha, en 1930, il y avait quarante écoles de ce type. TAPIA MORENO, Rosa Linda, El papel de la escuela Franz Warzawa en la historia del desarrollo rural de Rumipamba desde su fundación en 1930 hasta la Reforma Agraria, Quito, Universidad Andina Simón Bolívar, 2013, pp. 32-33.
125 PRIETO, Mercedes, «"Yo me he envejecido en esta lucha...", Tránsito Amaguaña», op. cit.
126 RODAS MORALES, Raquel, Crónica de un sueño. Las escuelas indígenas de Dolores Cacuango. Una experiencia de educación bilingüe en Cayambe (1989), Quito, Proyecto EBI-GTZ, segunda edición, 1998, p. 34.
127 Ibidem, pp. 29-30. Sur le rôle assigné à l'école rurale, voir SINARDET, Emmanuelle, op. cit. et Idem, «Nación y educación en el Ecuador de los años treinta y cuarenta», Íconos, n° 9, abril de 2000, pp. 110-125.
128 FLORES CARLOS, Alejandra, «Intelectuales indígenas ecuatorianos y sistema educativo formal: entre la reproducción y la resistencia», Revista ISEES, nº 9, julio-diciembre de 2011, p. 24.
129 Constitución Política de la República del Ecuador del año 1945, artículo 5 y artículo 143, en ligne, consulté le  25/07/2014, http://biblioteca.espe.edu.ec/upload/1945.pdf.
130 Constitución Política de la República del Ecuador del año 1946, artículo 171, en ligne, consulté le 25/07/2014, http://www.constitutionnet.org/files/1946.pdf.
131 Galo Plaza, convaincu que le développement qu'il prônait passait par l'éducation mais qui refusait l'introduction de syndicats dans son domaine de Zuleta, accepta que l'on alphabétise ses travailleurs agricoles, lorsque Dolores Cacuango lui en fit la demande en ces termes : « Comme le soleil éclaire tout le monde de la même façon, hommes ou femmes, de même l'éducation doit éclairer tout le monde, riches ou pauvres, patrons ou travailleurs ». (Les premières démarches d'alphabétisation remontent aux années 1950). RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, pp. 141-142. Pour un éclairage intéressant sur la politique menée par Galo Plaza, voir SALGADO GÓMEZ, Mireya, «Galo Plaza Lasso: la posibilidad de leer el paradigma desarrollista desde una apropiación reflexiva», in TORRE, Carlos de la, SALGADO, Mireya, Galo Plaza y su época, Quito, FLACSO, Fundación Galo Plaza Lasso, 2007, pp. 117-156. 
132 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Gran líder del pueblo indio, p. 141.
133 María Luisa Gómez de la Torre fut démise de ses fonctions par José María Velasco Ibarra en 1946, suite à une lettre ouverte qu'elle avait signée avec d'autres militantes communistes dans laquelle elle dénonçait la trahison du chef de l'État envers le peuple. En effet, le 30 mars 1946, le président de la République s'était proclamé dictateur civil. Sur ces évènements, voir RODAS MORALES, Raquel, Nosotras que del amor hicimos..., Quito, Editorial Fraga, 1992, pp. 64-74.
134 BECKER, Marc, TUTILLO, Silvia, op. cit., p. 164.
135 RODAS MORALES, Raquel, Crónica de un sueño..., p. 37, p. 54, pp. 68-69. Ces fonctionnements sont confirmés dans le numéro 18 de la revue Ñucanchic Allpa du 5 octobre 1946 qui les présente comme une avancée notoire que toutes les communautés indigènes devraient imiter. YÁNEZ, Fernando, «Alfabetización de jóvenes y adultos indígenas en el Ecuador», in LÓPEZ, Luis Enrique, HANEMANN, Ulrike, Alfabetización y multiculturalidad: Miradas desde América Latina, Guatemala, UIL-UNESCO y Programa de Apoyo a la Calidad Educativa de la Cooperación Técnica Alemana en Guatemala (PACE-GTZ), 2000, pp. 138-139 ; CLARCK, Kim, «Feminismos estéticos y antiestéticos en el Ecuador de principios del siglo XX: un análisis de género y generaciones», Procesos, Revista ecuatoriana de historia, n° 22, 2005, p. 97 qui dresse le portrait de María Luisa Gómez de la Torre.
136 Cette situation n'était pas exceptionnelle à l'époque car, en 1946, seulement 25 % du corps enseignant était composé d'instituteurs formés à l'École normale. GOETSCHEL, Ana María, Educación de las mujeres, maestras y esferas públicas. Quito en la primera mitad del siglo XX, Quito, FLACSO, Abya Yala, 2007, p. 144.
137 MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., p. 189, pp. 241-244, pp. 253-254 ; RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Pionera en la lucha por los derechos indígenas, p. 82 ; Idem, Crónica de un sueño..., p. 53 ; Idem, Nosotras que del amor hicimos..., p. 91 ; Idem, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, p. 48. Le lieu d'exercice de José Alberto Tarabata est confus dans les souvenirs de Tránsito Amaguaña, elle l'affecte à San Pablo Urco dans le témoignage recueilli par Raquel Rodas et à Pesillo dans celui recueilli par Cecilia Miño. Neptalí Ulcuango précise bien que l'intéressé prit en charge l'école syndicale de San Pablo Urco. ULCUANGO, Neptalí, Historia de la organización indígena en Pichincha: Federación Indígena Pichincha Runacunapac Riccharimui, Quito, Abya Yala, 1993, p. 6.
138 RODAS MORALES, Raquel, Crónica de un sueño..., p. 53, pp. 66-67.
139 Ibidem, p. 67. Luis Catucuamba confirme aussi son utilisation, YÁNEZ, Fernando, op. cit., p. 139. Références de cet ouvrage : MARÍA DE LA SAGRADA CORONA, Mi cartilla inca: texto bilingüe (quichua-español), elaborado por pedagogas de la Congregación de Misioneras de María Inmaculada y Sta Catalina de Sena, Guayaquil, Reed & Reed, 1947, 186 p.
140 RODAS MORALES, Raquel, Crónica de un sueño..., p. 34.
141 Ibidem, pp. 44-45.
142 Ibidem, p. 47, voir aussi le témoignage de María Luisa Gómez de la Torre, pp. 45-46 et dans MIÑO GRIJALVA, Cecilia, op. cit., pp. 188-189.
143 DÁVALOS, Pablo, «Las luchas por la educación en el Movimiento Indígena Ecuatoriano. La actuación de los movimientos y organizaciones sociales», Ensayos & Investigaciones del Laboratorio de Políticas Públicas, Buenos Aires, nº 27, mayo de 2008, pp. 21-22.
144 RODAS MORALES, Raquel, Tránsito Amaguaña. Su testimonio, p. 49. Voir aussi le témoignage de Dolores Cacuango sur les pressions qui s'exercèrent, ainsi que celui de Neptalí Ulcuango. Idem, Crónica de un sueño..., p. 48, pp. 68-69, p. 73.
145 YÁNEZ, Fernando, op. cit., p. 139 ; RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Pionera en la lucha por los derechos indígenas, p. 83 ; Idem, Crónica de un sueño..., p. 62.
146 PÉREZ PIMENTEL, Rodolfo, «Luisa Gómez de la Torre y Páez», op. cit.
147 YÁNEZ, Fernando, op. cit., p. 139 ; RODAS MORALES, Raquel, Crónica de un sueño..., p. 61.
148 RODAS MORALES, Raquel, Crónica de un sueño..., p. 71.
149 Idem ; CLARCK, Kim, op. cit., p. 95.
150 YÁNEZ DEL POZO, José, Yo declaro con franqueza, «Dolores Cacuango», op. cit., p. 8 ; RODAS MORALES, Raquel, Crónica de un sueño..., p. 53, p. 69.
151 RODAS MORALES, Raquel, Dolores Cacuango. Pionera en la lucha por los derechos indígenas, p. 84 ; PÉREZ PIMENTEL, Rodolfo, «Dolores Cacuango», op. cit., p. 3.
152 MASSAL, Julie, op. cit., pp. 116-117 ; Constitución Política de 1978, en ligne, consulté le 27/07/2014, http://www.cortenacional.gob.ec/cnj/images/pdf/constituciones/43%201978%20Texto%20Original.pdf.
153 En décembre 2014, le taux global de pauvreté était de 22,49 % mais concernait 35,29 % de la population rurale. De même, l'extrême pauvreté n'affectait que 7,65 % des Équatoriens mais 14,35 % des ruraux. En décembre, le seuil de pauvreté était estimé à 81,04 dollars mensuels par personne et celui de l'extrême pauvreté  à 45,67 dollars mensuels par personne. INEC, Reporte de pobreza por ingresos, diciembre de 2014, en ligne, consulté le 05/02/2015, http://www.ecuadorencifras.gob.ec/documentos/web-inec/POBREZA/2014/Diciembre-2014/Reporte%20pobreza%20y%20desigualdad.pdf.
154 Constitución de la República del Ecuador 2008, en ligne, consulté le 27/07/2014, http://biblioteca.espe.edu.ec /upload/2008.pdf.

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