miércoles, 4 de julio de 2012

Des forteresses énigmatiques aux portes de l’Amazonie


*Texte de l'interview réalisée par le site Le Monde Précolombien (2012)

Le Monde Précolombien : Les rives de l’impétueux fleuve Cuyes en Équateur dissimulent en  partie des structures monumentales dont des forteresses précolombiennes. Selon vos travaux, elles seraient - pour certaines -, le fait de populations mixtes qui auraient inclus les redoutables Jivaros (Shuars). Comment êtes-vous parvenue à cette conclusion ?

Catherine Lara : A l’époque précolombienne, l’Amazonie était plus peuplée qu’aujourd’hui , mais elle était surtout occupée par des sociétés complexes et organisées. Contrairement à ce qu’imagine encore le grand public influencé par les théories des années 1950.

L.M.P. : Expliquez-nous…

C. L. : On croyait à l’époque que l’Amazonie était un espace assez homogène, tant du point de vue culturel qu’écologique, et qu’elle avait été peuplée de façon tardive – environ 500 av. J.-C. – depuis la sierra. Les chercheurs d’alors ne concevaient pas qu’il pouvait y avoir des populations plus anciennes, organisées sous forme de chefferies, par exemple, avec des manifestations de monumentalités ou des raffinements techniques ou technologiques. A leur décharge, il faut rappeler que l’Amazonie d’alors était impénétrable et que les exploitations forestières et pétrolières n’avaient pas encore fait leur œuvre. Tout change à compter des années 1960-1970. C’est l’époque où apparaissent les théories portant sur l’existence d’îlots écologiques au sein de l’Amazonie et de diversités de communautés biologiques. Les chercheurs découvrent qu’on y trouve plusieurs types d’environnements et de faune. La surprise vient des découvertes archéologiques de Lathrap et de J.Tello, au nord du Pérou.  Lathrap prouve l’existence de groupes culturels évolués qu’il date du premier millénaire avant J.-C. En Equateur, les observations et fouilles superficielles du Père Pédro Porras - un passionné d’archéologie - vont dans le même sens quand il identifie des structures monumentales, dont des forteresses, sur le piémont de la cordillère orientale, en Haute Amazonie…

L.M.P. : Comment se présentent ces forteresses ?

C. L. : La plus impressionnante est, sans conteste, celle de Trincheras. Il faut imaginer un éperon rocheux qui domine la vallée du fleuve Cuyes (canton de Gualaquiza, province de Morona Santiago). Traduire : « la vallée des Cochons d’Inde » car elle en aurait été envahie (selon la légende ! ) au temps de la Conquête. C’est là, à 1500 m d’altitude environ qu’est érigé, sur un à-pic, une structure centrale ronde, en pierres plates, entourée de rangées de murs hauts parfois de deux mètres et qui suivent l’orientation naturelle de la pente. Il a fallu une main-d’œuvre importante et agile pour escalader et construire – en portant les pierres extraites au pied de l’éperon – cet ensemble  quasi inaccessible. Je précise que, de forme elliptique, la forteresse mesure 178 m sur 184 m, et qu’elle est ceinte par une tranchée profonde de 2 m qui en retarde l’accès. La découverte in situ d’une pierre de bola (un projectile)  conforte l’idée qu’il s’agit bien d’un système défensif. En revanche, je n’ai pas trouvé la moindre présence d’eau.

L.M.P. : Ce qui n’est pas idéal en cas de siège…

C. L. : Effectivement, c’est une question. J’en ai beaucoup d’autres car la zone est encore largement inexplorée et la prudence s’impose avant de tirer toute conclusion. Sur le plan monumental, Trincheras est imposant, mais pas moins que le site d’El Cadi que certains qualifient de « cité perdue », construite par les Espagnols ou les pré-Incas en quête de matières précieuses et de l’or du fleuve en particulier. Cette structure d’habitats occupe une surface encore plus grande que Trincheras  avec 10 hectares de murs sur un espace plat. Rien que des chambres et des structures circulaires. De quoi loger plus de 1000 habitants.

L.M.P. : Vous citiez la Haute Amazonie. Où se situe-t-elle ?

C. L. : La cordillère des Andes est formée de deux cordillères séparées par ce qu’on appelle en Équateur le « couloir inter-andin ». Une région particulièrement fertile où sont implantées les grandes villes du pays dont Quito, Cuenca, Riobamba… Qui vient de la côte et souhaite rejoindre la Haute Amazonie doit franchir la première cordillère, puis traverser ce « couloir » en direction de l’Est, avant d’atteindre le sommet de la seconde cordillère. A partir de là, tout le territoire qui descend de la sierra jusqu’aux Basses Terres - ou Basse Amazonie -  constitue la Haute Amazonie.

L.M.P. : Sur quelle longueur ?

C. L. : La Haute Amazonie dépasse les frontières de l’Équateur. C’est tout le piémont de la cordillère orientale qui va de la Colombie jusqu’au Chili. Un large espace de forêt tropicale, un peu plus tempéré que l’Amazonie qu’elle domine, mais avec toute la variété de la faune et de la flore.

L.M.P. : C’est là que le Père Porras découvre des structures monumentales…

C. L. : Oui. Il en trouve dans les environs de Quijos, au nord de l’Équateur. Puis là où j’ai fouillé dernièrement, le long du fleuve Cuyes qui descend de la sierra. Ces découvertes vont conduire à s’interroger sur les groupes culturels à l’origine de ces structures. Venaient-ils de la Sierra ou bien d’Amazonie ? Question d’importance, car conclure à une origine amazonienne contredit le schéma proposé dans les années cinquante.

L.M.P. : En quoi ?

C. L. : Une telle architecture sous-tend qu’on est en présence de cultures développées et non de chasseurs-cueilleurs.

L.M.P. : Finalement…

C. L. : Le père Porras trouve plus au sud de la Haute Amazonie équatorienne, au sein de la grotte de los Tayos, de la céramique qui sera qualifiée de formative et des traces de coquillages (spondylus). Autrement dit une occupation ancienne et la preuve d’un échange avec la côte, donc in fine la présence d’un groupe évolué, mais venu de la sierra…  Il n’empêche : même si les datations avancées par le Père Porras (2000 ans av. J.-C) sont contestables et contestées, ses découvertes font germer l’idée que l’Amazonie renferme des traces de civilisations raffinées et qu’il ne faut certainement pas la réduire à des clichés : un « enfer vert » et un espace peuplé de bandes nomades, sinon de « sauvages ».

L.M.P. : Les chercheurs se font, aussi, une nouvelle idée du peuplement de l’Amérique du Sud…

C. L. : En effet, jusque là prévaut l’idée qu’après avoir franchi le Détroit de Béring, la population s’est rendue sur la côte Pacifique de l’Amérique du Sud où elle s’est installée, longtemps avant d’explorer la sierra et l’Amazonie. Et puis, une conception nouvelle apparaît, selon laquelle à hauteur de l’isthme de Panama, le flux migratoire se serait scindé en deux pour conquérir l’Amérique du Sud. Un groupe aurait pris la direction de la côte du Pacifique, un autre celle de l’Amazonie. Les deux groupes se seraient retrouvés plus tard au niveau de la sierra. C’est ce que déclare Lathrap dans les années 1970 et, dès lors, certains chercheurs commencent à penser que c’est possible.

L.M.P. : Et depuis ?

C. L. : Trois sites ont réellement changé la vision des scientifiques. Le complexe de l’Upano tout d’abord, situé dans les Basses Terres. Ce site énorme, daté de 200 à 500 apr. J.-C., a été découvert en surface par le Père Porras et fouillé dans les années 1990 par Stéphen Rostain et Ernesto Salazar. Il est composé de tout un ensemble de plates-formes, de structures en terre, disposées entre elles de façon à créer des places, des contextes d’habitat, des contextes cérémoniels, des cimetières. Il y avait là un groupe social organisé, en pleine capacité d’ériger cette monumentalité. Toujours dans les Basses Terres, et simplement pour faire une parenthèse, on a découvert un maïs daté de 1500 ans av J.-C. dans la région de Ayauchi. Ce qui suggère qu’il y avait une agriculture à cette époque là. Ce qui était impensable il y a 60 ans... Le deuxième site est plus au nord, en direction du piémont, dans la région de Quijos. Lui aussi a été signalé par le Père Porras et fouillé à partir de 1990. L’archéologue colombienne, Andrea Cuellar, qui y a travaillé jusque dans les années 2000, dans le cadre de sa thèse pour  le compte de l’Université de Pittsburgh, a dégagé des structures monumentales, des forteresses et des structures d’habitat faites de longues pierres plates. On a là l’exemple d’un groupe culturel amazonien bien organisé, avec un réseau développé d’échanges avec la sierra. Le troisième site est encore plus extraordinaire : il s’agit de Santa Anna la Florida, dans le canton de Palanda, au sud de l’Équateur, en Haute Amazonie. Le site a révolutionné notre façon de considérer le passé amazonien.

L.M.P. : Expliquez-nous…

C. L. : Le site, dense et spectaculaire, est fouillé depuis les années 2000 par l’archéologue équatorien Francisco Valdez, pour le compte de l’IRD et en collaboration avec l’Institut du Patrimoine Equatorien. Nous sommes en milieu tropical, dans un relief très escarpé. Mais qui n’a pas posé de problèmes aux populations de l’époque puisqu’elles y ont construit un village avec une zone funéraire et des murs de contention au pied desquels ont été creusé des tombes, le tout sur une vaste terrasse alluviale. On y a retrouvé des turquoises, des poteries très développées, de l’art lapidaire. Ainsi qu’une zone, plus à l’ouest, où l’on voit clairement des places et des structures d’habitat. Pour y avoir travaillé, il suffit  d’y creuser un peu, pour découvrir de nouvelles structures. J’y ai assisté à la mise au jour d’une plate-forme avec tout un système de terrassements et de structures d’habitat rondes, disposées autour d’une place cérémonielle ronde elle aussi. Un type d’architecture inconnu jusque là. Comme cette grande spirale découverte dans la partie funéraire. Etonnamment, un collègue qui travaille à Jaén, au nord du Pérou, y a trouvé une structure semblable. Pour tout dire, nous attendons impatiemment  le résultat des datations pour voir s’il y a des corrélations possibles avec Santa Anna de la Florida.

L.M.P. : Justement, de quand date le site de Santa Anna de la Florida ?

C. L. : Plusieurs contextes ont été datés et ce dans plusieurs laboratoires afin d’être absolument sûrs des résultats. Les dates les plus anciennes remontent à 3500 ans av. J.-C.

L.M.P. : L’iconographie de Santa Anna de la Florida a stupéfié la communauté scientifique…

C. L. : Il est certain qu’en regard de l’ancienneté du site, elle est effectivement très élaborée et surtout porteuse d’éléments iconographiques de type amazoniens (jaguar, serpent…) pour le moins troublants. D’autant que l’on ne connaît pas de sites autour qui permettent d’entrevoir une évolution. La poterie est d’emblée très bien faite et sans étapes d’apprentissage qui pourraient nous expliquer l’origine culturelle des pièces. Développer pareilles structures et un tel art de la pierre et de la céramique, nous parle clairement d’un groupe organisé et d’une pensée religieuse très aboutie, avec des spécialistes qui se consacrent aussi bien à l’art lapidaire qu’à la céramique et au commerce à longue distance. Car on a retrouvé des coquillages marins, (strombes et spondyles). Il y a peu, on n’aurait jamais imaginé trouver choses semblables. Maintenant qu’on sait, on s’attend à découvrir des sites très anciens. C’est stimulant car on commence à peine à fouiller la région et les questions foisonnent…

L.M.P. : Il est temps d’en venir à vos travaux. Comme les environs de Quijos, la région que vous fouillez est riche en structures monumentales. Principalement des forteresses…

C. L. : Permettez-moi d’y ajouter les structures (forteresses et habitats) découvertes par Paulina Ledergerber dans la vallée du rio Cuchipamba, à proximité du lieu où je travaille.  Elle a daté du formatif (2000 ans av. J.-C.) un certain nombre de contextes. Pour en avoir trouvé de semblables, je crois que les dates sont crédibles. Mais surtout, nous soulevons les mêmes interrogations devant pareilles structures. Sont-elles issues d’une culture amazonienne ou bien d’une culture de la sierra ?

L.M.P. : Et vous avez la réponse…

C. L. : Paulina Ledergerber, Ernesto Salazar et, notamment, Anne-Christine Taylor proposent des hypothèses. Cette dernière à partir d’une étude  approfondie des documents ethno-historiques. Pour conclure que des populations montagnardes, en l’occurrence des Cañari, qui étaient tout à la fois agriculteurs (ils cultivaient le maïs en altitude) et de grands commerçants – ils pratiquaient beaucoup d’échanges avec la côte – seraient descendus des sommets de la cordillère orientale pour construire forteresses et habitats plus près des peuples d’Amazonie et des ressources de la forêt tropicale.  Selon les théories de John Murra, ces mêmes Cañari auraient pu contrôler plusieurs étages écologiques.

L.M.P. : Ils formaient à l’évidence un important groupe culturel…

C. L. : Il s’agit plutôt d’une famille linguistique. Des recherches archéologiques et ethno-historiques ont montré qu’il y avait toute une variété de sous-groupes au sein de cet ensemble cañari. Des chefferies, des noyaux beaucoup plus simples. La complexité sociale au sein de ce groupe linguistique était très variée.

Les Cañari se rapprochent des peuples d’Amazonie mais ils construisent des forteresses, c’est donc qu’ils les redoutent… Justement, c’était l’une de mes questions avant de fouiller. Qui habitait en Basse Amazonie ? La réponse est instructive. Une population réputée pour sa vocation belliqueuse : les Jivaros, les « coupeurs de têtes » [La préférence des scientifiques va aujourd’hui à l’appellation Shuar]. Les défenseurs de la théorie y voient l’explication de la construction des forteresses. Pour eux, les échanges commerciaux n’empêchaient pas la guerre.

L.M.P. : C’est plausible…

C. L. : Certes, mais une autre théorie, proposée par l’anthropologue Peter Ekstrom qui a travaillé dans la vallée du fleuve Cuyes, remet en cause l’origine cañari des forteresses. Selon lui, elles ont été construites par les Incas. Il y aurait trouvé des tessons d’arybales  (des jarres typiques de cette culture) qui confortent sa théorie. Pour ma part, je n’ai jamais trouvé de tels tessons lors de mes fouilles.  Par ailleurs, l’architecture des Cañari n’est pas très développé dans la Sierra (du moins pour ce que l’on sait jusqu’à ce jour). Dès lors, on voit mal comment des structures du piémont oriental pourraient leur être attribuées. Alors qu’en la matière, les Incas sont évidemment les mieux à même d’en être les auteurs.

L.M.P. : Que viennent faire ici les Incas ?

C. L. : Ils sont arrivés en Équateur vers 1440-1450 et d’entrée  les  Cañari qui occupaient la région sud du pays ont été conquis. Par malchance pour eux, lorsqu’il y a eu la guerre fratricide entre les deux fils de l’Inca, Huascar et Atahualpa, les Cañari étaient alliés au perdant, Huascar. En représailles, leur capitale a été brûlée. Par la suite, au début de la Conquête, les Cañaris ont choisi le camp des Espagnols. Avant de se révolter contre eux. Les Incas étaient intéressés par l’or. D’où leur choix de s’installer dans ce milieu intermédiaire entre la sierra et l’Amazonie  pour accéder à cette matière précieuse sans s’enfoncer dans la forêt, tel qu’on témoignent les recherches archéologique et ethno-historiques menées dans d’autres vallées semblables au Pérou et en Bolivie.

L.M.P. : Vous aviez donc le choix entre deux théories…

C. L. : Sans compter celle d’Antonio Carrillo, le premier à fouiller les rives du fleuve Cuyes. L’archéologue confirme que les Incas étaient présents, mais rejette l’hypothèse d’une simple enclave cañari. Dans ces trop courts écrits – il est décédé prématurément – Antonio Carrillo commence à défendre l’idée qu’une chefferie autonome, qui ne dépendait pas de la sierra,  s’est développée dans la région, avec son propre chef et ses propres structures monumentales.

L.M.P. : Qu’en pensez-vous ?

C. L. : J’avais ces deux schémas en tête – l’enclave cañari et la chefferie d’altitude environ -  et bien identifié chaque structure. Pour finir, j’ai cartographié les dix huit sites archéologiques de cette vallée. Les centres cérémoniels, les forteresses, les terrasses et les structures d’habitats. Cette carte fut le sujet de ma thèse en Équateur. Le diplôme m’a valu d’être financièrement soutenue par les autorités locales, afin que je puisse fouiller les structures. Ce que j’ai fait.  Ô surprise : dans le secteur de Santa Rosa et Playa, une structure d’habitat et un centre cérémoniel avec des plates-formes, ont donné, dans trois contextes, des dates de 2000 avant J.-C.  C’est à vérifier, mais cela va dans le sens d’une présence ancienne, peut-être formative, comme le soutient Paulina Lebergerber plus au nord.

L.M.P. : Et pour les forteresses ?

C. L. : Toutes les dates s’échelonnent du XIIIe siècle au XVIe siècle après J.-C. Nous sommes en plein dans le contexte des guerres que j’évoquais précédemment avec l’arrivée des Incas,  la lutte fratricide entre Atahualpa et Huascar, enfin les affres de la conquête espagnole et la rébellion cañari. Il est, bien sûr, difficile de situer le rôle de ces structures face à ce contexte, mais il est certain que la région a joué un rôle clé dans le contexte des luttes surgies après l’arrivée des Incas. Il ne fait pas de doute que les forteresses sont liées à une conjoncture historique faite d’alliances, de mésalliances, de trahisons, etc.

L.M.P. : Un passé mouvementé…

C. L. : Beaucoup plus qu’on ne l’imagine. Je me suis intéressée aux légendes et aux traditions orales de façon à savoir ce que les gens savent des origines de cette vallée. Il en ressort qu’elle a d’abord été peuplée soit par des populations canari, soit par des métis (Espagnols et indigènes). Par ailleurs, peu après la colonisation, les Espagnols y auraient créé des « réductions », des centres qui leur permettaient de mieux contrôler les populations avant de les rediriger vers la sierra. Ainsi, la vallée aurait vu progressivement diminuer sa population, à l’exception de celle des orpailleurs espagnols toujours avides d’extraire l’or du fleuve Cuyes. Jusqu’à l’assaut mené par les Shuars. Une expédition très meurtrière qui a épouvanté, dit-on, les derniers Espagnols. Le fait est que, pour des siècles, la vallée a ensuite été désertée et devenue un territoire de chasse shuar, jusqu’à la fin du XIXème siècle. Pour l’heure, elle est occupée par des colons descendus de la sierra dans les années 1980, suite à une grande sécheresse dans la cordillère orientale. Ces colons se sont repliés vers les Basses Terres pour trouver des terrains à cultiver. Nous en reparlerons, mais c’est exactement l’inverse de ce qui se serait produit il y a plus de mille ans quand, pour une même raison – la sécheresse -, des populations amazoniennes, en l’occurrence des Shuars, auraient quitté l’Amazonie pour la Haute Amazonie.

L.M.P. : Quid de la céramique ?

C. L. : Comme je l’ai souligné, je n’ai pas découvert de céramiques dans la forteresse de Trincheras que j’évoquais précédemment. En revanche, j’en ai trouvé – et plus bas que les fondations - dans la cité d’El Cadi et les structures défensives de ses alentours . Une céramique corrugada associée à la famille pré-shuar et qui signe que cette population est bien à l’origine de la cité. Vous imaginez les conséquences. Cela signifie que les ancêtres des Shuars savaient construire de telles cités. A moins qu’il ne s’agisse d’un groupe métis, une chefferie locale en partie shuar et en partie composée de membres issus de la sierra, autrement dit de cañari. C’est l’hypothèse que je défends aujourd’hui. Selon moi, un groupe amazonien est impliqué dans cette construction monumentale. Mais, j’insiste, il faudra de nouvelles recherches pour étayer cette conviction.

L.M.P. : De quand date El Cadi ?

C. L. : Faute d’éléments – nous n’avons trouvé aucune trace de charbon – il n’est pas possible actuellement de recourir à une datation par le Carbone 14. Mais l’architecture est la même que celle du site de la Florida daté du XIIIe siècle.

Les sites monumentaux sur lesquels porte votre étude datent, pour les uns, d’avant l’ère chrétienne, voire du formatif, et pour les autres au moins du XIIIe siècle. Il n’y aurait donc rien - aucune occupation -, entre ces deux temps forts ?

Ce « trou chronologique » est difficile à comprendre. Mais les sites de la vallée du fleuve Cuyes ne sont pas les seuls à connaître cet abandon de plus d’un millénaire. On le retrouve sur la plupart des sites situés sur le piémont oriental. Au nord du Pérou, les études de Lathrap suggèrent que vers l’an mil après J.-C. et  en raison d’une longue période de sécheresse, une vague de population amazonienne serait remontée vers l’ouest, en direction de la Haute Amazonie, à la recherche de terres plus fertiles. C’est encore une hypothèse. Est-ce que le Cuyes aurait été un couloir par lequel les populations amazoniennes seraient remontées vers la sierra ? On est en droit de se poser la question au vu des dates formatives.

L.M.P. : Les questions sont décidément plus nombreuses que les réponses…

C. L. : Effectivement. Et c’est tout vrai pour les structures monumentales les plus récentes que pour les plus anciennes, tel que Playa, par exemple. Le site, qui s’étend sur 200 m de long et autant de large, est formé de trois plates-formes trapézoïdales, sur deux niveaux, revêtues de galets encastrés. De ces plates-formes partent, en direction de l’ouest, des mûrs en pierre pas très élevés, de l’ordre d’un mètre environ, qui rejoignent un grand monticule de terre lui aussi de forme trapézoïdale, entouré d’un petit fossé. Des pierres sont encastrées dans le monticule. Tout cela est très mystérieux. On ne saisit pas la fonction du site.

L.M.P. : Et pour l’autre structure ancienne, Santa Rosa ?

C. L. : Le site est très classique. Fait de pierres plates allongées. La structure, divisée en deux chambres, mesure 30 m de long sur 10 de large. Le matériel domestique qui y a été retrouvé confirme qu’il s’agit bien d’une structure d’habitat. Santa Rosa comme Playa sont proches des villages et assez dégagés. Des animaux y circulent, car il y a du pâturage, et cela participe malheureusement à détruire les structures.

L.M.P. : Ce qui n’est pas le cas des forteresses…

C. L. : Non, le fait qu’elles soient situées sur des à-pics inhabités et recouverts de végétation les protège de la destruction. Tant mieux car elles sont loin d’avoir livré leurs secrets.

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